Figure majeure de la direction d'orchestre du siècle dernier, Lovro von Matačić n'a pas atteint la notoriété de Boehm ou Karajan ; pourtant son art de la direction le plaçait parmi les plus grands de son époque.
Né en Croatie, Lovro von Matačić (1899-1985) fit ses études musicales à Vienne avant de commencer une carrière de chef, principalement dans son pays, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. C'est ensuite que sa réputation prit un tour international, affirmant ses qualités de chef d'opéra principalement straussien et wagnérien (il dirigea à Bayreuth) mais aussi de chef d'estrade. Son apogée eut lieu de 1956 à 1958 lorsqu'il succéda à Kontwitschny à la tête de la Staatskapelle de Dresde. Ayant étudié à Vienne avec le compositeur Oskar Nedbal, Matačić avait une particulière affinité avec l'Orchestre philharmonique tchèque. C'est l'ensemble de ses enregistrements avec cette prestigieuse phalange que Supraphon réédite opportunément aujourd'hui.
Le coffret s'ouvre avec une « Héroïque » cinglante et énergique captée en 1959. On y trouve les traits caractéristiques de la direction de Matačić, notamment son sens de la propulsion du discours en perpétuelle relance, et son équilibre des plans sonores, particulièrement remarquable dans le final. Les mêmes traits se trouvent dans la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski gravée l'année suivante, loin des anticipations mahlériennes qu'y fera entendre un Bernstein ; les sonorités très typées de la Philharmonie tchèque le vibrato du cor dans l'andante cantabile pourront séduire ou surprendre, mais elles se rapprochent de celles des orchestres russes de la même époque, chaleur harmonique des cordes en plus. Tenue d'une main de fer, la « Pathétique » captée en 1968 rejette tout sentimentalisme doucereux au profit d'une vision d'une grande intensité.
Une suite arrangée par le chef lui-même du Crépuscule des dieux (à laquelle manque la Marche funèbre de Siegfried) impressionne par sa puissance évocatrice. On passera charitablement sous silence l'Histoire des flûtes d'Oldrich Korte (1926-2014), ami personnel du chef à défaut d'être un compositeur passionnant.
Reste le legs brucknérien qui forme à lui seul la moitié du coffret. Il avait été précédé par une Romantique avec le Philharmonia Orchestra en 1956 (disponible chez Testament) ; une Huitième avec l'Orchestre de la radio de Prague existe également (Living Stage). La Cinquième aurait mérité de figurer parmi les meilleurs enregistrements pour sa puissance et la clarté de son architecture si, choix incompréhensible en 1970, Matačić n'avait retenu la triste révision de Schalk (ce qu'omet prudemment de mentionner l'éditeur). Le final en sort mutilé par une vaste coupure avant la coda, réorchestré avec d'inutiles doublures (les interventions de la clarinette au début du mouvement) et surtout l'adjonction d'un ensemble de cuivres et de percussions supplémentaire dans la coda (douze musiciens que Schalk nommait en toute simplicité les « douze apôtres ») qui transforme cette dernière en monument d'un pompiérisme achevé. Une captation du même chef avec le National de France en 1979 présente la version authentique (INA). Heureusement la Symphonie n° 7 (1967), qui ne souffre pas de problème d'éditions, est, quant à elle, d'un équilibre rayonnant qui rachète ce faux pas et permet à la splendeur des cordes tchèques de déployer un lyrisme chaleureux et enthousiasmant. Ultime témoignage de l'harmonie du chef et de l'orchestre, la Neuvième captée lors d'un concert de 1980 se révèle d'une émotion exceptionnelle. Matačić l'aborde à hauteur d'homme, sans mysticisme exagéré ni noirceur abyssale comme les plus impressionnantes visions de Furtwängler, Giulini, Jochum ou Celibidache, mais nous touche comme peu de chefs ont su le faire dans le sublime adagio sur lequel son interprétation s'achève (les derniers accords sont joués tenus par les cordes et non en pizzicatos).
Au total, ce splendide coffret a le mérite de nous rappeler la haute figure d'un grand chef du siècle dernier que les plus anciens mélomanes parisiens se souviennent d'avoir applaudi avec le National et l'Orchestre Colonne.