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Tanz im August : deux pièces follement d’actualité pour boucler le festival

Le dernier week-end du festival nous a permis de voir des troupes et interprètes de grande qualité. Oscillant entre un délire réjouissant et une production aussi engagée qu'intellectualisante, deux compagnies se sont montrées particulièrement en phase avec leur temps : Trailer Park de et From rock to rock… aka how magnolia was taken for granite de .

La scène du radialsystem et son obscurité offrent tout son espace épuré à la compagnie , dirigée par Honne Dohrmann depuis plus de dix foisonnantes années. Le danseur Jaume Luque Parellada s'invite en premier aux festivités. Un solo dans lequel il ne cesse de grimacer et de se tortiller tel un diable à ressort. Puis, les danseurs et danseuses de la compagnie, sortes de doubles de ce trublion, le rejoignent pour un selfie de groupe. Tous sont affublés de tenues de sport synthétiques, conçues par Daniele Bendini et recouvertes de logos de marques, à l'image de canettes énergisantes posées ici et là. Au milieu de la pièce, un couple d'équilibristes ira même jusqu'à s'allonger, serein, sur celles-ci, dressées comme des i. Il entonnera alors « Somewhere Over The Rainbow », la douce mélodie adoucissant la rigidité de la situation. Les solos, duos ou ensembles prennent des airs de numéros de cheerleading, allant du streetdance à la samba, en passant par le voguing ou le roboting, sans oublier l'inégalable cœur avec les doigts. Niveau choix musicaux, c'est aussi du grand n'importe quoi : cabaret, folk, opéra, rock, rap, pop, trance…

est un intéressant personnage, aussi passionné de breakdance qu'assujetti au langage de Maurice Béjart. Il est d'ailleurs connu pour aimer toucher à tout et sauter du coq à l'âne en toute simplicité. Ainsi, le chorégraphe a demandé à la troupe de Mayence de choisir des clips à imiter, chopés sur Instagram, TikTok et compagnie. Ce patchwork formera par la suite le puzzle d'inspiration de Trailer Park. Voilà peut-être pourquoi la pièce est intensément imprévisible, sans jamais nous perdre totalement, car le sous-jacent de Trailer Park nous plonge dans le monde tristement obsédant des réseaux sociaux, entre plaisir et addiction, douleur et affliction.

Au bout d'une heure de show constant, rien n'aura été vraiment construit. Les interprètes robotisés déambulent ou marchent, dansent ou courent, sans réel but. L'exécution est virtuose dans sa vitalité et sa précision. Le fondamental pour elles et eux c'est de se mettre en avant, en se mettant en scène, mais avec froideur : tout est fake ! Chaque individualité propre se tarit pour aboutir à un être foncièrement banal, qui trouve cool ce que son voisin trouve cool. Le public sourit face à ce trop-plein de pas bouillonnants qui ne cessent de s'enchaîner, à cette playlist énigmatique qui jamais n'arrête de s'égosiller. Mais nous nous épuisons aussi à voir cette gestuelle éphémère se consumer à vitesse grand V. La scène finale, aussi classique qu'extravagante et bercée par « Who Wants To Live Forever » de Queen, est une belle délivrance.

Pour clôturer le festival, , chorégraphe américain basé à Bâle, nous propose From rock to rock… aka how magnolia was taken for granite ou comment chorégraphier un litige sur les droits d'auteur, en plaçant le Milly Rock (mouvement de deux pas avec un balancement des bras de gauche à droite) au centre d'une performance quelque peu difficile d'accès. Mais comment un mouvement peut-il devenir l'objet d'un recours en justice ? En 2018, le rappeur 2 Milly se rend compte que son mouvement, le Milly Rock, apparaît dans le jeu vidéo Fortnite. 2 Milly poursuit alors Fortnite pour l'utilisation non autorisée du Milly Rock. 2 Milly perdra le procès mais le débat sur l'appropriation des mouvements hip hop dans les médias numériques sera, lui, bel et bien lancé.

La pièce commence par exposer un amas de cinq corps anonymes, empilés les uns sur les autres et vêtus de survêtements bleu roi, gris et bleu marine, qui évoluent lentement. Puis, les corps se séparent, les expressions se différencient, les lignes se déconstruisent. Nedd veut utiliser le mouvement comme vecteur pour s'interroger sur la créativité et, a fortiori, sur la propriété de cette dernière. Sa chorégraphie d'ensemble tend à se personnaliser, chaque danseur ayant sa propre touch, son propre Milly Rock. Le décor immaculé (un brin déconcertant) se compose d'un petit rocher suspendu, d'un plus gros rocher à l'opposé en avant-scène et d'une toile de fond représentant des glaciers. Ajoutez des ambiances sonores qui surgissent, tels des clameurs de vent et des craquements de pierres, où le silence se laisse parfois entendre et les genres musicaux divers se côtoient, et vous obtiendrez un espace vaporeux, intemporel.

La répétition hypnotique peut captiver ou lasser. Nedd sait toutefois parfaitement nuancer son langage en nous réveillant grâce à un morceau jazzy qui rythme un ardent duo où le mouvement s'émancipe du hip hop pour devenir plus enlevé et précis. Nedd nous rappelle alors qu'il « vient » de la danse classique ! Un autre duo ludique : deux interprètes, tout en silence, enchaînent une série de « daps » (poignées de main) plus ou moins recherchés mais d'une absolue justesse. L'accolade finale est exquise ! Il y a beaucoup d'autres moments surréalistes comme cet interprète casqué ressemblant à Stig qui parcourt la scène sur un hoverboard ou encore cet autre danseur qui traverse la scène avec d'énormes parpaings aux pieds.

On entre et on sort. La pièce s'enfonce et finit par atterrir dans une dimension non identifiée alors qu'une danseuse/chanteuse entonne des paroles inaudibles sur un orgue et qu'un danseur/groover, coiffé d'une perruque blanche ébouriffée, baragouine un texte incompréhensible pour une bonne partie du public. Peut-être y avait-il moyen de trouver une réponse moins foutraque à la question fort complexe « Qui possède quoi ? », qui mérite néanmoins d'être posée. Nous répondrons que le Milly Rock, au même titre que le Pas de bourrée, n'appartient à personne et à tout le monde à la fois. Plus perspicace.

Crédits photographiques : ©Andreas Etter (/, Trailer Park) ; © Philip Frowein (, From rock to rock… aka how magnolia was taken for granite)

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