Les occasions d'entendre l'Orchestre Philharmonique de Berlin à Paris sont trop rares pour ne pas se réjouir de leur passage ce 5 septembre dans la grande salle de La Villette. Leur chef titulaire Kirill Petrenko avait de surcroît choisi de se mesurer aux chefs de légende qui l'ont précédé dans la Symphonie n° 9 de Mahler.
La troisième soirée des « Prem's » de la Philharmonie de Paris offrait l'affiche la plus prestigieuse, avec l'Orchestre Philharmonique de Berlin et son chef Kirill Petrenko dans une œuvre désormais majeure dans son répertoire, la 9e Symphonie de Mahler. Depuis que Leonard Bernstein l'avait choisie pour son seul et unique concert avec l'orchestre en 1979, tous les chefs titulaires de l'illustre orchestre ont entrepris d'affronter la dernière symphonie achevée du compositeur. Karajan d'abord dans une magistrale réaction d'orgueil blessé face à Bernstein (1982), Abbado, grand mahlérien devant l'éternel (1999), enfin Rattle, lui aussi grand défenseur du maître autrichien (2007).
Que Petrenko veuille à son tour marquer l'orchestre de sa propre vision n'a donc rien d'étonnant. Il le fait avec cette rigueur dans la mise en place et les équilibres sonores qu'on lui connaît. Que ce soit dans les tutti d'une formidable puissance et ce, bien que l'effectif employé ne soit pas le plus considérable des symphonies de Mahler (notamment le pupitre de cors, par quatre seulement), ou les soli, admirables de bout en bout (flûte, trompette, cor, alto, violon, tous seraient à citer pour leur perfection), la virtuosité d'ensemble et la démonstration orchestrale sont éblouissantes. L'Andante comodo initial alterne lyrisme rêveur des cordes, prégnant dans le thème initial et ses retours successifs, et véhémence des tutti dans les épisodes conflictuels dont Petrenko accélère les tempos avec des effets de contrastes saisissants. Le mouvement qui suit alterne avec brio un Ländler lourdement rythmé, rustique voire pataud et un trio véhément sinon agressif et un jeu de timbres d'une rare intelligence.
C'est le troisième mouvement, le fameux Rondo Burleske qui marque le sommet de cette interprétation tant cette mécanique orchestrale fabuleusement réglée offre à Petrenko l'occasion d'une démonstration époustouflante : tempo survolté, sonorités stridentes (les bois), solo de trompette en apesanteur avant une coda frénétique mais d'une mise en place stupéfiante. Reste, et c'est là que la maîtrise du chef trouve ses limites, le vaste Adagio final qui évoque dans son entame celui de la propre Neuvième de Bruckner avant de se perdre dans une émotion nostalgique bouleversante, du moins dans les plus belles versions. Mais Kirill Petrenko adopte un tempo assez rapide dans cet adagio qui prend plus que jamais des couleurs tchaikovskiennes ; certes le plan de cette symphonie reprend en l'élargissant à des dimensions considérables celui de la Sixième du compositeur russe, mais il faut attendre les dernières mesures, raréfiées à l'extrême, pour que perce véritablement ce sentiment d'adieu à la vie que les commentateurs y voient en général (en fait il ne s'agit nullement des dernières mesures de Mahler puisque l'adagio initial de la Dixième Symphonie suivra ce final).
On sort de ce concert plein d'admiration pour la virtuosité orchestrale des Berlinois et la maîtrise technique de leur chef, mais un peu frustré quand même de l'absence d'émotion de cette exécution qui confirme la perception que donne Kirill Petrenko d'un musicien qui fait passer la perfection technique devant le sentiment et le lyrisme. Un résultat bluffant techniquement, moins convaincant musicalement.
Crédits photographiques : © Ava du Parc / Cheeese
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