Deux pièces de Philippe Hurel étaient au programme du premier concert du festival Ensemble(s) mettant à l'honneur le compositeur dont on fête les quarante ans de carrière.
Attentif aux jeunes interprètes qui jouent la musique d'aujourd'hui – la journée du 18 septembre leur est consacrée – le festival a pris la bonne habitude de préluder chaque concert avec les jeunes talents de différents conservatoires (parisiens et d'Île de France) pour qui les compositeurs ont écrit : tâche au combien délicate (écrire « facile » tout en restant soi-même) pour Philippe Hurel qui a confié à la flûtiste Ève Garuchot, élève du CRC d'Ivry-sur scène, le soin de créer Préambule, pièce courte aussi séduisante que bien conduite, avec sa signature timbrale, le whistle tone, un mode de jeu que notre flûtiste prometteuse a eu tôt fait de maîtriser. Du CMA XX de Paris, Antoine Labrusse-Eglès « s'attaque » à Contrapunctus de Mark André, une pièce pour piano très étrange qui vise les extrêmes sans mettre véritablement en valeur les doigts du jeune pianiste.
Bonne habitude toujours, celle de convoquer les cinq ensembles (Cairn, Court-Circuit, 2e2m, Sillages et Multilatérale) au sein du premier concert du festival qui fait salle comble. Banyan, donnée en création sous la direction de Léo Margue, est une pièce pour sept instrumentistes de la compositrice Philippine Feliz Anne Reyes Macahis. Au micro d'Anne Montaron, sur le plateau de L'Échangeur de Bagnolet, elle nous parle de l'histoire douloureuse des peuples minoritaires expulsés de leur territoire ; le banian s'érige comme représentation sacrée de cette terre perdue. Les musiciens ont des micros-lèvres amplifiant souffle, onomatopées et autre langage indistinct, comme une litanie venue du fond des âges disant l'impossibilité d'exprimer. Cantonnée dans le registre grave, l'écriture est ciselée, sensible et tout en saillies, finement conduite, avec l'élan et la précision du geste de Léo Margue.
La création de Topologies imaginaires du Colombien Daniel Arango-Prada invite sur le podium la jeune cheffe espagnole Celia Llácer dont le travail soigné et l'énergie du geste font merveille. L'œuvre est inspirée du roman éponyme d'Italo Calvino dans lequel Marco Polo fait la description de 55 villes inexistantes au grand empereur Kublai Khan. De quoi enflammer l'imagination de notre compositeur convoquant douze instrumentistes dont deux percussionnistes, une harpe et un piano. Des voix imaginaires s'entendent dans cette musique des grands espaces dont Arango-Prada se plait à diversifier les paysages à travers des sections contrastées : le voyage est vivant et coloré, avec des trouvailles sonores comme ce continuum rythmique du piano préparé et de la harpe qui strie l'espace-temps dans la première section. La percussion prend parfois le dessus avec les joutes sonores spectaculaires des deux interprètes (Ève Payeur et Clément Delmas) sur les peaux ou encore l'écriture solistique de la flûte (Anne Cartel) amorçant un processus de transe qui porte l'intensité sonore à son sommet dans les dernières mesures
Les Six Miniatures en trompe l'œil pour 14 instruments de Philippe Hurel datent de 1991 – le compositeur n'a que 36 ans – et révèlent un style déjà bien affirmé, balançant entre courant spectral et influence dynamisante du jazz. L'œuvre dirigée ce soir par Julien Leroy alterne une musique pulsée et éruptive – tension – et des instants de temps long et lisse, laissant l'image sonore se déployée dans la richesse de ses composantes spectrales – détente. Véritable kaléidoscope sonore donnant à entendre chacune de ces facettes, la pièce fascine par la richesse de ses accords complexes (le piano de Vincent Leterme y est central) et l'énergie du geste toujours réamorcée où s'exerce le pouvoir du timbre hurelien dans ses capacités lumineuses et la force percussive de ses impacts. Julien Leroy s'y emploie avec bonheur, à la tête de musiciens totalement investis.
Enregistré par France Musique, le concert sera diffusé le mercredi 24 septembre dans le « Concert du soir » d'Arnaud Merlin ; le festival court jusqu'à dimanche, faisant se relayer chaque ensemble et son chef respectif.
Crédit photographique : © Thierry Nicolas (Philippe Hurel) / ResMusica