Le volume II de l'intégrale des Quatuors à cordes de Chostakovitch (de 6 à 12) par les Casals révèle, sous les archets de la phalange catalane, une interprétation murie au fil des ans qui force l'admiration.
Les sept quatuors couvrent une période de douze années (1956 à 1968) particulièrement féconde pour le compositeur qui, après la mort de Staline en 1953, retrouve sa place au sein du paysage musical soviétique et poursuit, à travers l'écriture du quatuor à cordes, un cheminement intérieur et quasi autobiographique qu'accueille ce médium privilégié. Du Quatuor n°6, composé dans l'euphorie (toute éphémère) de son deuxième mariage, au Quatuor n°12 opus flirtant avec la dodécaphonie, Chostakovitch modèle la forme et l'écriture du genre au gré de son désir et de ses expérimentations.
C'est ce que donne à entendre le Quatuor Casals, avec une attention particulière accordée au timbre et à la dramaturgie sonore au sein de chaque numéro. Si le Sixième en quatre mouvements ne hausse jamais la voix sous le geste détendu et l'articulation soignée des Casals, le ton change dans le Septième, resserré en trois mouvements très courts où les sonorités acérées et les pizzicati sarcastiques relèvent de l'ironie chostakovienne. Les cordes incisives des deux mouvements vifs contrastent avec le Lento en sourdine et la basse rampante et introspective du violoncelle où se profile le motif- signature du compositeur, DSCH. Ce même matériau irrigue le Quatuor n°8, véritable « machine de guerre » lancée par les Casals où les pizzicati fusent comme des projectiles. La rythmique est implacable et l'énergie constante, sans débordement cependant, tant le timbre et la conduite du son prédominent dans le jeu des musiciens. Le lyrisme et la profondeur du premier Largo ainsi que l'émotion qui se dégage du thème fugué dans le second font de ce quatuor autobiographique un véritable drame sans paroles.
L'élaboration formelle saisit également dans le Quatuor n°9 dont l'extraordinaire final prend des dimensions symphoniques avec un déploiement virtuose des quatre archets et une fugue offensive qui vient couronner cette forme concentrique en cinq mouvements.
Le son est toujours nourri, le grain expressif et la tenue rythmique exemplaire, comme en témoigne l'Allegro furioso aux sonorités affutées du Quatuor n°10 tandis que l'Adagio offre une ample respiration et un chant d'une vibrante humanité au violoncelle que vient relayer le violon.
Les Quatuors n°11 et 12 innovent sur le plan de la forme et de l'écriture. Le n°11 enchaîne sept mouvements très courts, concentrant l'essentiel du matériau chostakovien ; l'Elegy en sixième position, dans l'errance et la fragilité de la ligne, préfigure les accents du Quinzième et dernier quatuor. Du n°12 en deux mouvements, où Chostakovitch joue avec la dodécaphonie sans pour autant sortir de la tonalité, on retient l'extraordinaire deuxième mouvement (quatuor dans le quatuor) laissant apprécier l'homogénéité des archets, le nuancier de couleurs et la fluidité du jeu de nos quatre interprètes épousant les tours et détours d'une trajectoire narrative qu'ils ont, de toute évidence, sondée dans toute sa profondeur.