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La musique sans bords d’Olivier Greif par Jonathan Benichou

Familier de l'univers d', disparu il y a juste un quart de siècle, dont il a déjà gravé le Trio avec piano, le pianiste Jonathan Bénichou a choisi parmi les vingt-deux sonates du catalogue du compositeur trois d'entre elles correspondant à divers moments clés de son existence. 

Greif est encore étudiant au conservatoire lorsqu'il écrit sa Sonate pour piano n°14 « Dans le goût ancien » (1974) une pièce en trois mouvements librement inspirée des modèles du passé : grave et pointé, vif et fugué pour la Symphonia d'ouverture, une page dont la conduite libre et extravagante donne le ton. La Musette garde tout du long le principe des notes détachées mais défie toute logique de trajectoire, Greif se délectant des contrastes de registres et autres déviations tonales. Le piano sonne comme les cors dans Chasse, le motif claironnant devenant le sujet d'une méta-fugue exposée dans les règles de l'art et portée par un processus d'intensification où plane l'esprit de Beethoven : frénésie du son et puissance d'un discours qu'assume avec une impressionnante digitalité le pianiste.

Antérieure, la Sonate n°9 date des années new-yorkaises (1970) durant lesquelles Greif étudie avec Luciano Berio et devient son assistant. Les titres, A Mourning Brew, Egyptian Mathematician, Stars ! Starts ! (To the memory of Marilyn Monroe), témoignent de l'éclectisme d'une pensée qui fait feu de tout bois. La variation est à l'œuvre dans le truculent quatrième et dernier mouvement, 42nd Street, prenant comme matériau de base une chanson américaine des années 30, exercice de virtuosité dont l'écriture jouissive, magnifiée par le jeu de Benichou, vise la dimension orchestrale et le piano transcendantal.

Le Rêve du Monde, Sonate n°20, de 1993, marque son retour à la composition après dix années de quête spirituelle passées au côté de son gourou bengali. Le premier et quatrième mouvements tournés vers l'Orient en conservent la trace. Le garçon (pur) comme l'or est une méditation au temps étiré, loin de toute référence stylistique (ou les embrassant toutes !). Une énergie féroce et une violence extrême s'exercent dans Wagon plombé pour Auschwitz autour d'un chant synagogal que Greif fait imploser. Sur le même thème de la shoah, Thrène des désincarnés est une lente et douloureuse ascension vers la lumière dont l'intensité du son sous les doigts de l'interprète saisit. Dans le dernier mouvement (Un éblouissement de Sri Ramakrishna), Greif tient son discours, aussi complexe soit-il, conçu comme une méta-chaconne où tournent sans faillir les huit mesures d'un thème unique autour duquel s'agrègent tous les matériaux déjà entendus : une musique sans bords dont les chemins divergent et dont fait son miel, magnifiant le côté jubilatoire et hypertrophié d'une sonorité où s'exprime le désir d'une totalité à embrasser.

 

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