Adèle Charvet sait tout faire. Du répertoire baroque à la création contemporaine, en passant par le grand répertoire lyrique, elle excelle à tout. La voici dans une sélection intéressante de mélodies françaises, et le charme opère à nouveau.
Ce ne sont pas moins de quinze compositeurs différents qu'abordent Adèle Charvet et Florent Caroubi. Dans la notice, Jean-Christophe Branger les rassemble en trois groupes d'influence, un dominé par Massenet, un autre par Debussy et le troisième par Fauré. C'est plus ou moins convaincant, mais admettons. Le thème narratif est l'amour et ses différents émois, ce qui n'est guère original. En revanche, l'ouverture par la joyeuse Nuit d'Espagne de Massenet et la conclusion par différents crépuscules et l'admirable Chère Nuit d'Alfred Bachelet sont plus intéressants, et atténuent le caractère un peu fourre-tout de cet enregistrement.
C'est un très beau récital. Adèle Charvet est telle que tout le monde l'apprécie : voix ample mais docile aux nuances, timbre somptueux et feutré, toujours sobre dans ses effets et de style parfaitement châtié. Son point un peu faible est la projection de son élocution. Elle est très suffisante en français pour rendre les textes intelligibles, mais l'allemand dans le Entsagen d'Enesco et l'anglais dans le Paradise regained d'Albeniz pâtissent d'un manque d'éclat. D'ailleurs, on peut s'interroger sur l'utilité de leur choix dans un programme presque entièrement français. Florian Caroubi soutient la mezzo avec un piano délicat mais très chantant, et ses petits solo (Fauré, Debussy) ou préludes (Caplet) sont des moments charmants.
Mis à part les petites incongruités mentionnées, l'intégralité du programme est admirable. Le Novembre de Koechlin s'enfonce délicieusement dans un cafard invincible, et la Plainte d'amour de Xavier Leroux s'élève dans une aspiration remarquable. Le Colibri de Chausson s'envole sur un legato superbe, et L'Enamourée de Hahn distille ses frissons et ses pâmoisons. On découvre Ernest Moret, Louis Aubert et Madeleine Dubois, et ce sont des découvertes intéressantes. Le Vaincu d'Aubert semble étrangement opératique, mais Adèle Charvet s'y connait en opéra et fait monter une tension étonnante. Le Spleen de Madeleine Dubois fait oublier ceux qui ont déjà écrit sur ce même texte de Verlaine, et les Fauré, très intériorisés, sont merveilleux de pudeur et de délicatesse. Le plus réussi dans ce programme est le final, avec un bel Adieu en barque, dont un magnifique prélude au piano, et un prodigieux Crépuscule de Massenet, où les couleurs irisées d'Adèle Charvet évoquent admirablement celles du désir et du soleil couchant. Cette mélodie là, chantée comme cela, c'est un sommet de poésie. La Chère nuit d'Alfred Bachelet est une très belle conclusion pour cet excellent disque. Tout n'y est pas parfait, mais les nombreuses beautés et découvertes qu'il recèle en font un très bel apport à la discographie de la mélodie française.