Trois compositrices et deux compositeurs sont à l'affiche et autant d'œuvres écrites pour l'ensemble Orbis qui investit l'espace de la salle Paul Garcin de Lyon lors d'un concert tout en saillies qu'agitent des vents contraires…
Basé à Lyon, Orbis est un collectif de cinq instrumentistes (flûte, saxophone, accordéon, percussion et électronique) placé sous la direction musicale et artistique du charismatique Demian Rudel Rey. Réunissant une majorité de pièces écrites en 2025, le projet « Brises sauvages » est le fruit de plusieurs résidences aux côtés des compositeurs avec qui les musiciens ont monté leur programme, au plus près de leurs intentions et de l'écriture des partitions. Trois d'entre eux sont dans la salle, qui viennent à tour de rôle présenter leur travail au public.
Minor Assembly d'Aurélien Dumont (actuel professeur de composition au CNSM de Lyon) appartient à un cycle de pièces en lien avec les écrivains de sciences fiction. Dans Minor Assembly, Dumont s'attache à l'univers de l'autrice Ursula K. Le Guin, notamment à sa théorie de la fiction-panier, « un panier qui contient, relie, rassemble sans jamais imposer une totalité close et directionnelle ». L'idée ne pouvait que stimuler l'imaginaire sonore sans bords du « compositeur littéraire », tel qu'il aime se définir, adepte d'une narratologie non linéaire. Dumont fait naître, sous nos oreilles, un espace sensible, vivant et de plus en plus organique, choisissant avec discernement les composantes de son « panier », comme ce rhombe qui fouette l'espace sous le geste énergique du percussionniste et les sons-souffle avec des bouteilles (flûtiste et saxophoniste), qui servent la quête d'inouï toujours au centre du travail du compositeur. L'électronique est une cinquième voix qui tisse d'autres réseaux avec les instruments et participe de « l'assemblage » dont la délicatesse du rendu sonore et la plasticité des figures émerveillent.
Il n'y a pas d'électronique dans Winds d'Édith Canat de Chizy mais un courant qui circule d'un pupitre à l'autre et un geste instrumental qui balaie les registres, de l'aigu du piccolo à l'outrenoir de l'accordéon. L'inspiration est née d'une vision d'Hildegard von Bingen, dont la compositrice a déjà mis en musique le verbe haut dans Visio. La sainte évoque les vents d'est et du sud «qui meuvent du souffle de leur énergie le firmament». Le geste propulse le son, nourri par une percussion active, et dessine l'ampleur des contrastes, entre immobilité au seuil du silence et élan cinétique activé par les boucles mélodiques des flûte, saxophone et accordéon, portant in fine le flux sonore vers la grande clarté.
La compositrice Ariadna Alsina Tarrés aime façonner sa matière à l'instar du plasticien. Kintsugi, le titre de sa pièce, est une technique japonaise exercée sur la céramique cassée, qui consiste à appliquer sur la brisure une laque recouverte de poudre d'or pour rehausser la beauté de l'objet tout en gardant les traces de l'accident : des sensations tactiles et visuelles se ressentent à travers l'élaboration d'une matière souvent bruitée (chocs, frottements, slaps etc.). Les quatre instruments fusionnent et les sonorités s'hybrident à la faveur d'une partie électronique très soignée dont la granulation fine dans le registre aigu, infiltrant une percussion scintillante, projette l'image de la poudre d'or.
Ashes of a mind (cendres d'un esprit) de la benjamine (tout juste 21 ans) Mahak Sadeghzadeh, est sans conteste la pièce la plus éruptive du concert, mettant à l'épreuve du son les quatre musiciens. Ruptures abruptes, excès du geste et de l'énergie regardent vers l'esthétique de la saturation d'un Bedrossian dont Mahak a été l'élève à Graz : souffle, bruits de clés percussifs de la saxophoniste, stridence du piccolo, déferlements des peaux, cadence musclée de l'accordéon etc. La performance « envoie du bois », dans l'effervescence joyeuse du son, sans perte de contrôle, cependant.
Dans Orbi et Umbra, le compositeur Jeremías Iturra conçoit tout à la fois la partition et la vidéo qui s'invite sur le grand écran installé à cet effet. Notre écoute bascule dans un autre espace-temps où la musique, au temps lisse, se meut en une longue trame sonore qu'entretient l'électronique (Matías Rosales). Elle charrie toutes sortes de sonorités et gestes instrumentaux, entre ombre et clarté, couleurs et relance d'énergie : ondes de l'accordéon, saillies de la percussion, bruits doux des bouteilles percutées, solo de flûte basse, vrille acidulée de la cymbale chinoise : autant d'événements sonores en interaction avec les images d'une vidéo très/trop foisonnante, de l'hyper-réalisme (photos d'archives tirées du film Meshes of the Afternoon de Maya Deren) à l'abstraction (images de synthèse) auxquels s'ajoutent les courts-métrages du jeune fils du compositeur qui viendra saluer au côté de son père à l'issue du concert : un travail dans l'hétérogène et un montage un rien déroutant à côté d'une partition qui séduit bien davantage !
Sous la direction très investie de Demian Rudel Rey, la performance des quatre musiciens, qu'il faut ici nommer, force l'admiration : Lisa Meignin (flûte), Yui Sakagoshi (saxophone), Lisa Heute (accordéon) et Louis Quiles (percussion) dont la précision et la synergie du geste ont fait merveille. Aux manettes, la compositrice Rocio Cano Valiño ne démérite pas, rappelant la vocation de l'ensemble à intégrer l'électronique au sein de la création instrumentale.
Crédit photographique : © Elsana Adzemovic (1 et 3) ; Kevin Carpin (2)