Janáček en première partie, la Septième de Bruckner après l'entracte : dans un programme généreux, Rattle montre les qualités et les limites de son travail avec son orchestre.
Peu d'orchestres ont une tradition brucknérienne aussi riche que l'Orchestre de la Radio Bavaroise, depuis son fondateur Eugen Jochum jusqu'aux collaborations plus récentes avec Bernard Haitink, Mariss Jansons et Herbert Blomstedt. C'est dans l'urgence du traumatisme qu'a causé le décès prématuré de Jansons que Simon Rattle a pris la tête de l'orchestre, dont il est directeur musical depuis un peu plus de deux ans, en tant qu'artisan d'une nécessaire transition plus que comme porteur d'un véritable projet d'avenir ; même s'il s'est déjà intensément investi dans l'élargissement du répertoire de l'orchestre, on ne peut pas dire qu'il a pu y imposer en son cœur sa voix propre. Cette tournée européenne est une bonne opportunité pour apercevoir les évolutions de l'orchestre.
Avant les grandes dimensions de la Septième symphonie de Bruckner, Rattle propose une œuvre, rare au concert, d'un de ses compositeurs de prédilections, la rhapsodie Taras Bulba de Janáček : cette grande pièce de musique à programme, inspirée d'une nouvelle de Gogol, est une occasion rêvée pour une démonstration d'orchestre, ce que Rattle réalise en partie. Le solo de cor anglais qui ouvre l'œuvre est d'une beauté saisissante, et le chef restitue bien tout le côté cinémascope de la partition, qui est un peu sa limite. Il est naturellement sensible aux idiomatismes de l'écriture de Janáček, mais on ne peut pas dire qu'il va tout à fait au bout de ce que la partition propose en matière de couleurs : le souffle épique passe ici clairement avant le travail de détail sur les couleurs instrumentales.
La Septième symphonie de Bruckner offre après l'entracte un même bilan prudemment positif. Le point négatif est à nouveau le son de l'orchestre dans les passages les plus puissants de l'œuvre : cordes et cuivres paraissent souvent stridents, et on ne retrouve à aucun moment les qualités de transparence et de plasticité dont les cordes de la formation ont si souvent fait preuve. Les solistes montrent bien que ce ne sont pas les musiciens qui ont perdu leur niveau, mais la direction de Rattle qui montre ici ses limites. Heureusement, et même mieux que souvent, le chef maîtrise les autres paramètres de son interprétation brucknérienne, pour la dynamique, pour la gestion des tempi, et surtout pour l'expression. La conduite du discours, très naturelle, se fonde sur des tempi qui ne s'alanguissent jamais et ne tombent pas dans la facilité des contrastes brutaux que certains chefs à la mode affectionnent ; l'atmosphère recueillie des passages les plus doux est d'emblée saisissante, et le scherzo a tout l'allant irrésistible qu'on peut en attendre. À cause du travail insuffisant du son, on renoncera volontiers à voir cette interprétation pérennisée au disque (l'interprétation de Bernhard Haitink déjà publiée par le beau label de la Radio bavaroise serait ici hors de portée), mais on ne regrette pas pour autant le déplacement à la Philharmonie de Luxembourg.