L'abondante discographie d'Éliane Radigue s'enrichit d'un nouveau CD monographique avec Asymptote versatile pour 12 musiciens, la seule œuvre écrite de la compositrice, confiée au harpiste Rhodri Davies près de soixante ans après sa conception.
Éliane Radigue est à New York dans les années 1960 lorsqu'elle réalise sa pièce Asymptote versatile, « une proposition sonore », comme elle aime nommer ses travaux, laissant un espace à l'interprétation et au choix des instruments. Alors férue de mathématiques, la compositrice dit avoir calculé des courbes logarithmiques dérivées de la série de Fibonacci. De nature graphique, la partition consiste en une superposition de feuilles d'acétate transparentes où se combinent spirales numériques et notes écrites en quatre clefs, un montage permettant une exécution de sons tenus par des instruments acoustiques. L'œuvre qu'elle conçoit en 1963-64, avant sa découverte du synthétiseur modulaire Arp 2500, préfigure le travail qu'elle mènera (sans partition toutefois) avec ses interprètes à partir de 2001, à travers l'inépuisable série des Occam Océan. Ce sont d'ailleurs ses fidèles collaborateurs (l'alto de Julia Eckhardt, la clarinette basse de Carol Robinson, le saxophone de Bertrand Gauguet, etc.) que l'on retrouve dans le collectif instrumental emmené par le harpiste Rhodri Davies, maître d'œuvre du projet. Du trombone basse au suraigu du violon et ses harmoniques, s'étagent les composantes d'un spectre « versatile », au fil des interventions aléatoires des douze sources sonores (cordes, bois, vents et même guitare) : rencontres improbables, frottements risqués, matières hétérogènes… l'œuvre procède par séquences qui se juxtaposent, amorcées par la tenue d'un timbre soliste. S'y manifestent déjà la notion de bourdon, les variations infimes des composantes du spectre et la lenteur qu'aime la compositrice, propice à une écoute concentrée sur le détail. « C'est l'écoute de l'auditeur qui fait la musique » a-t-elle coutume de dire : écoute immersive, dans l'accueil de ce qui advient et la profondeur méditative : la clé pour accéder « aux rivages de nos paix ignorées », comme l'a si bien dit Gérard Frémy.