Depuis sa création au festival d'Oviedo en 2017 et son passage obligé au Teatro de la Zarzuela de Madrid en 2022, Don Gil de Alcalá de Manuel Penella Moreno, dans la mise en scène largement plébiscitée d'Emilio Sagi, poursuit aujourd'hui sa route sur la scène du Teatro Villamarta de Jerez sous la direction musicale de Cecilia Bercovich.
Compositeur d'une pléthore d'œuvres lyriques (environ 80), Manuel Penella Moreno restera dans l'histoire de la zarzuela pour avoir été l'auteur de deux œuvres fameuses : El Gato Montés (1916) et Don Gil de Alcalá (1932). Deux zarzuelas bien différentes mais également célèbres.
Concernant Don Gil, encore une fois, l'absence de dialogues parlés alimente l'éternelle discussion entre zarzuela ou opéra… Quoi qu'il en soit, opéra de chambre, opéra-comique ou zarzuela, nous sommes en présence d'un drame lyrique singulier, élégant et jubilatoire qui justifie sa présence régulière sur toutes les scènes lyriques depuis sa création en 1932 à Barcelone. Manuel Penella, personnage hors du commun – compositeur, librettiste, impresario et aventurier – a créé, ici, une œuvre à l'écriture musicale classique du XVIIIᵉ siècle, combinant néoclassicisme et nationalisme espagnol, mettant en scène un orchestre à cordes et une harpe, sans vents ni percussions, sur un texte inspiré d'« El sí de las niñas » de Moratín et de « Los intereses creados » de Benavente. Auteur du livret et de la musique, et puisant dans ses nombreux voyages en Amérique du Sud, Penella a synthétisé deux cultures, espagnole et latino-américaine, notamment mexicaine – le territoire de la Nouvelle-Espagne servant de cadre à Don Gil de Alcalá. Il a ainsi intégré des expressions de la langue mexicaine et combiné des danses espagnoles et européennes telles que le fandango, la pavane et le menuet avec la habanera et le jarabe mexicain. De plus, Penella possède le talent de transformer, à un certain moment, une histoire d'amour conventionnelle et quelque peu mièvre en une comédie burlesque, digne d'un véritable opéra bouffe, le tout sous tendu par une orchestration néoclassique raffinée dans le style du XVIIIᵉ siècle et par une inspiration mélodique délicate, pleine de charme exaltée dans une succession sans temps morts de différents numéros musicaux comprenant des passages instrumentaux, des airs, de nombreux ensembles et de multiples danses comme la célèbre habanera « Todas las mañanitas » et la romance de l'enfant des étoiles « Bendita cruz ».
Le livret nous conte une charmante histoire d'amour contrariée entre deux jeunes gens, Niña Estrella et Don Gil. La complicité des domestiques et la roublardise du sergent qui chante les louanges du vin de Jerez, sans oublier l'inénarrable confession du gouverneur sont autant d'occasions de nourrir une fibre humoristique, contribuant à la finesse, à l'originalité et à l'attrait de l'œuvre.
La production présentée aujourd'hui au Théâtre Villamarta de Jerez est celle donnée au festival lyrique espagnol d'Oviedo de 2017, mise en scène par Emilio Sagi dans une lecture parfaitement lisible, au premier degré, sans autre prétention que de servir le livret et les chanteurs. La scénographie de Daniel Bianco, aux lignes épurées et à l'atmosphère un rien coloniale, s'appuie sur un décor unique (une grande salle à colonnes) judicieusement utilisé pour figurer le cloitre du couvent à l'acte I ou différentes salles du palais du gouverneur dans les actes suivants. Les éclairages d'Eduardo Bravo sont superbes, à l'instar des costumes de Pepa Ojanrugen et Pablo Alcandara et des chorégraphies parfaitement réglées de Nuria Castejon. La direction d'acteurs est virtuose, pertinente et dynamique portée par une adhésion scénique sans réserve des chanteurs qui permet d'enchainer tous les numéros musicaux et dansés dans un schéma narratif clair, naturel et continu.
La distribution vocale homogène ne souffre aucun reproche. Marc Sala campe un Don Gil très lyrique à la projection modérée. Face à lui la Niña Estrella de Sofia Esparza impressionne par sa facilité vocale, sa puissance, ses nuances et son impact émotionnel qui atteint son acmé dans l'émouvante « Bendita cruz » avec accompagnement de harpe. Dans un clin d'œil folklorique, Pablo Ruiz donne au personnage du sergent Carrasquilla tout son potentiel comique dans un toast au vin de Jerez impeccablement chanté. En valet espiègle et rusé, moteur de l'intrigue, le Chamaco de Manuel de Diego séduit par son chant haché à l'effet comique, apparié à la pétulante Maya de Zayra Ruiz, indispensable servante dévouée (habanera et jarabe), pour constituer le couple indigène, pendant populaire et comique de celui de Don Gil et Niña. Carlos Daza incarne un Don Diego plein d'autorité, au baryton ample et profond. Le baryton David Rubiera (le Gouverneur), la basse Gonzalo Ruiz (le Prêtre), Gregorio Garcia (le Vice-Roi) et Leticia Rodriguez en Mère Abbesse, tous bien chantants, complètent avec brio cette belle distribution, sans oublier le magnifique chœur du Teatro Villamarta, ni le corps de ballet, indispensables acteurs de cette production.
Dans la fosse, l'Orchestre de la ville de Grenade, dirigé par Cecilia Bercovich (parfois de son violon) a su donner à la partition tout le relief nécessaire par sa richesse en nuances rythmiques et dynamiques, magnifié par ses performances solistiques de haut niveau (cordes, harpe) dans une polyphonie claire suivant fidèlement la dramaturgie, toujours en parfait équilibre avec le plateau.