Le nouvel album du Sollazzo Ensemble intitulé « Ni Dufay, Ni Blinchois. The works of Johannes Pullois », est né d'une commande destinée initialement au programme de l'édition de 2023 du Festival flamand Laus Polyphoniae, événement entièrement dédié à la musique d'Anvers.
Plus qu'oublié, c'est de médiocre que fut longtemps qualifié le compositeur franco-flamand de la Renaissance Johannes Pullois (c.1420 ?-1478), particulièrement par le chef d'orchestre et musicologue Peter Gülke qui fut pourtant le premier éditeur de ses opera omnia. Quelques voix de ses contemporains ont pourtant prôné les qualités de la musique de Pullois. L'auteur du premier dictionnaire de termes musicaux, le compositeur et théoricien de la musique flamand Johannes Tonctoris (1435-1511) le place même parmi les trois compositeurs très célèbres à côté de Dufay et Binchois. Le titre de cet enregistrement est donc un clin d'œil à cette distinction officieuse, même s'il faut reconnaître qu'il est astucieux de mettre en avant deux compositeurs aujourd'hui plus largement connus que le véritable protagoniste de ce disque, pour attirer les futurs acquéreurs de cet objet musical.
Le nombre réduit de ses compositions conservées, une vingtaine, justifie probablement le long désaveu pour ce musicien. Mais la notice de présentation particulièrement bien élaborée de Pieter Mannaerts réhabilite la contribution musicale de Pullois au XVe siècle. Le compositeur innove à son époque en expérimentant le nouveau principe de la messe cyclique, soit l'utilisation d'un même matériau musical dans toutes les sections de la messe en faveur d'une cohérence globale. Le disque ne fait pas figurer son œuvre la plus célèbre, Missa Sine nomine, et privilégie le témoignage d'une musique liturgique autour de la voix, simple sous la plume de Pullois (Victimae paschali laudes, piste 13) même si elle se déploie à quatre voix (Gloria, piste 14). La programmation musicale fait ici surtout la part belle à la chanson française avec pas moins de huit exemples. Ce genre musical implique toujours diverses innovations de son auteur comme l'utilisation du mètre binaire, peu usité en 1460, où les entrées imitatives entre les voix (Hé, nesse pas grant desplaisir, piste 4), ou bien encore l'utilisation du néerlandais pour deux rondeaux (So lanc so meer, piste 6 et Op eenen tijd, piste 11). Pullois reste de fait un précurseur en la matière aux côtés de Martinus Fabri (mort en 1400).
L'interprétation du Sollazzo Ensemble est d'une heureuse simplicité, la souplesse des voix se mêlant avec la sérénité de jeu du luth, du psaltérion et des vièles, captés avec précision dans l'église Jezuïetenkerk d'Heverlee. Les interprètes créent même deux contrafacta autour de la figure musicale pour laquelle ce disque est consacré : Amen (piste 15) se base sur la musique de la chanson de Pullois « Je ne puis », alors que le Globus ignaeus (piste 3) est une nouvelle pièce à partir de matériaux historiques.
On reprochera simplement la brièveté de cet enregistrement (50 minutes) qu'une interprétation documentée de la Missa Sine nomine aurait pu compléter sans difficulté au regard des connaissances de ces musiciens savants, défricheurs de talent.