Double parodie pour ce spectacle loufoque et déjanté. Pastiche du Faust de Gounod, tout d'abord, mais également des shows télévisés des années 1990. Au sein d'une distribution de qualité, la mezzo-soprano Mathilde Ortscheidt impose un Méphistophélès haut en couleurs.
Le spectacle mis en scène de Sol Espeche, de fait, commence bien avant le lever du rideau. Micro en main, le chauffeur de salle Patrick Lepion, incarné par l'acteur Maxime Le Gall, briefe le public sur le rôle qu'il va devoir jouer lors d'une mystérieuse émission de télé en cours de préparation. Cette dernière, un reality show comme on commençait à en faire dans les années 90, façon « La Classe » ou « L'école des fans », plus tard « Champs Élysées », « Greg le Millionnaire », « Tournez manège », « Secret Story » ou « Gym Tonic », est censée être animée par le Professeur Faust, sosie à la fois d'Hervé et de Jacques Martin, spécialiste pour le coup de mathématiques, philosophie, histoire, anatomie et autres disciplines savantes dont il maîtrise apparemment tous les aspects. Petit à petit l'histoire du Faust de Goethe, déjà revue et corrigée par Hervé suite aux réécritures de Berlioz et de Gounod, s'immisce dans ce spectacle télé qui fait donc office de pièce enchâssante, selon le principe bien connu de la mise en abyme. Au cours de l'émission le vieux savant s'accoquine avec le diable, incarné ici par une belle et accorte meneuse de revue, pour obtenir la jeunesse éternelle et conquérir ainsi la belle et pure Marguerite. Erreur de casting, puisqu'il s'avère que cette Marguerite-là a déjà un long passé et un riche tableau de chasse, ce qui explique qu'elle ne rechigne pas à la possibilité de se caser et de mener une vie respectable. Son frère Valentin, initialement un membre du public révolté par la nullité de l'émission, s'immisce habilement dans l'intrigue où il finit par jouer un rôle fondamental dans sa parodie des méthodes militaires en vogue au XIXᵉ siècle. Les frontières entre les différents niveaux de lecture sont certes parfois ténus, mais les applaudissement nourris apportent la preuve que la mayonnaise prend et que le public, même s'il n'est pas toujours en mesure de maintenir à l'esprit les différents modes et degrés de cette multiple pièce dans la pièce, reste sensible à l'humour décapant d'un spectacle fourmillant de gags, d'idées et de propositions. Même les spectateurs non informés des codes de la télévision française des années 1980-1990 y trouveront leur compte, tant sont communicatifs l'esprit de drôlerie et l'esthétique du décalage qui prévalent tout au long de cette fort divertissante représentation.
La musique d'Hervé, si elle cite rarement les ouvrages qu'elle pastiche, n'en rappelle pas moins la structure de l'opéra de Gounod tout en faisant quelques allusions passagères à Berlioz, avec notamment la présence d'une chanson de la puce. Seule citation musicale à proprement parler, la phrase sur laquelle Faust aborde Marguerite chez Gounod : « Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle, / Qu'on vous offre le bras pour faire le chemin ? ». La date de composition du pastiche d'Hervé, 1869, coïncide précisément avec l'entrée à l'Opéra de Paris du Faust de Gounod. Autres passages inspirés de Gounod, les couplets de Valentin qui pourront évoquer « Gloires immortelles de nos aïeux » ou encore la chanson du roi de « Thuné » – l'appétence de Marguerite pour la thune ? –, sans oublier bien sûr le morceau final de l'opérette au cours duquel le diable s'engage à « mener le bal ». La musique de ce précurseur d'Offenbach est dans l'ensemble, dans ses rythmes et sa vitalité, d'une écoute fort agréable. Souvent agrémentée de valses, galops et autres danses entraînantes, elle sait se faire martiale et énergique dans l'évocation de la guerre, tendre et suave quand il s'agit de chanter les délices de l'amour.
Les chanteurs-acteurs réunis sur le plateau déploient toutes et tous d'impressionnantes réserves d'énergie, à l'aise autant dans leur jeu scénique que dans leur déclamation parlée ou leur restitution vocale. Tel est le cas notamment de la Marguerite d'Anaïs Merlin, à l'abattage certain dans son rôle de demi-mondaine ne manquant ni de gouaille ni d'à-propos. Vocalement, elle surclasse quelque peu le Faust du ténor de Charles Mesrine, légèrement en retrait sur le plan du chant mais très investi scéniquement. Le plateau, de toute façon, est dominé par le mezzo chaud et voluptueux de Mathilde Ortscheidt, impayable dans son rôle de meneuse de revue portant à merveille les très beaux costumes de Sabine Schlemmer. Les autres comédiens-chanteurs sont dans l'ensemble à la hauteur de la situation même s'il y a parfois besoin des sous-titres pour bien entendre le texte. Le chef d'orchestre Sammy El Ghadab, à la tête des Frivolités Parisiennes, donne toutes ses couleurs à une musique à la fois tendre et énergique, que l'on souhaiterait entendre en captation audio ou surtout vidéo. La qualité de ce spectacle, co-produit avec le Palazzetto Bru Zane, mériterait bien en effet de le rendre accessible pour les générations à venir.
Crédit photographique : © Christophe Raynaud de Lage
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