Après « Les chemins des Incas » sur lesquels s'aventurait la programmation de la première soirée de Sonomundo #4, « Les Routes de la Soie » empruntent, à la Bibliothèque La Grange-Fleuret, d'autres circuits légendaires où se croisent les souffles, les voix et les couleurs de l'Orient.
On fait un premier pas de côté avec Siembra (graine, semence), une pièce pour septuor instrumental écrite par Vincent Trollet, co-directeur de l'Ensemble Regards, au retour du fameux voyage péruvien des musiciens effectué l'été dernier. L'œuvre scelle le partenariat de Sonomundo avec le Pôle Sup 93 : sept étudiants (une flûtiste, deux saxophonistes, deux guitaristes, un contrebassiste et un percussionniste) sont sur la scène emmenés par le chef (et co-fondateur de Sonomundo) Juan Arroyo. La musique s'origine sur un rythme de claves, laissant ensuite la polyphonie advenir et les couleurs instrumentales interférer librement. Siembra est une vignette sonore dépaysante, introduction festive avant d'emprunter les routes de la soie.
Trois compositeurs iraniens sont à l'affiche, revenant chacun à leur manière aux sources persanes de leurs ancêtres : Bâd-e-Sabâ de Sina Fallahzadeh est une perle électroacoustique accompagnée des images oniriques de la vidéaste Hanna Darabi : Fallahzadeh réalise un mélange sensible d'éléments hétérogènes traversés de voix mystérieuses confinées dans le grave, qui confèrent à la scène une dimension ritualisante.
Mailloches très fines à la main, Farnaz Modaressifar fait rayonner le son du santour dans une lumière et une transparence dont elle a le secret ; elle improvise d'abord sur les modes persans puis revient sur scène avec une de ses compositions, inscrite dans un temps autre et des sonorités inédites.
La violoncelliste Marie Ythier chante seule dans A capella d'Alireza Fahrang, une superbe pièce écrite pour elle qui se coule dans le format des Alla breve/Création mondiale de France Musique. Liberté de l'archet et plénitude sonore : l'interprète sait adapter son jeu à l'acoustique sèche du lieu. L'écriture balance entre énergie du geste et déploiement sonore, révélant pas à pas le spectre harmonique et son nuancier de couleurs. Se détachent au sommet du processus les souples circonvolutions d'un violon sarangi regardant vers la musique indienne.
Avec plus de décibels et une frénésie du geste communicative, David Joignaux explore les potentialités résonnantes du tam dans TTY – Introduction et bagatelles de la compositrice taïwanaise Lin-Ni Liao. Le percussionniste utilise toutes sortes d'accessoires, différentes mailloches, balais, brosse, etc. pour modifier les impacts et tirer de cette grande pièce de métal des nappes sonores allant jusqu'à la saturation de l'espace : un corps à corps sportif où le performeur est même amené à donner du pied !
Le concert s'achève avec le trio avec piano du compositeur franco-arménien Michel Petrossian, A fiery flame ; a flaming fire (« une flamme ardente, un feu flamboyant »), titre se référant au passage célèbre du Buisson ardent dans Exode 3.2.
C'est une mélodie arménienne et ses inflexions microtonales entendues dans les premières minutes de la pièce qui servent de matériau à l'écriture du trio. La facture y est complexe, voyageant d'un bord stylistique à l'autre (élan lyrique, courbures rythmiques jazzy, polyphonie savante ou homophonie), avec des clins d'œil multiples au répertoire… jusqu'à l'accord parfait qui clôt la partition. Malgré une acoustique très (trop) sèche qui n'autorise pas la pleine fusion des sonorités, les interprètes (Jacques Comby au piano, Pauline Klaus au violon et Marie Ythier au violoncelle) y exercent tout leur talent, refermant en beauté ce concert tissé d'exils et de lumière.