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Influences multiples et métissées au Festival de danse de Cannes

Tous les deux nourris des danses urbaines, les chorégraphes et ont présenté leurs dernières créations au Festival de danse Cannes Côte d'Azur, qui se poursuit jusqu'au 7 décembre. Si ENSO – Boléro s'inspire de Maurice Béjart, c'est entre le Mondial de foot et la Corée qu' a puisé la trame de No Matter.

ENSO – Boléro de Mickael Le Mer

La douche de lumière sous laquelle apparaît une main, puis un bras. C'est la référence symbolique la plus immédiate au début du Boléro de Maurice Béjart qu'a choisi pour son nouveau spectacle ENSO – Boléro. Il s'agit en effet de la pièce chorégraphique qui l'a le plus fasciné, enfant, alors qu'il découvrait Jorge Donn dans ce solo filmé par la caméra de Claude Lelouch dans le film Les uns et les autres. Si la forme circulaire de la table rouge sur laquelle danse le rôle principal est parfois conservée dans ENSO – Boléro, le chorégraphe s'affranchit très rapidement de la structure solo du Boléro pour le transformer en pièce chorale pour neuf danseurs. Le ensõ est une peinture issue de la culture bouddhiste zen, calligraphie qui contient de nombreux symboles. explique avoir voulu y voir la métaphore du Boléro à l'envers, un trait fin qui s'épaissit et se termine par le vide.

D'abord assourdie, comme atténuée par un filtre, la musique de David Charrier s'épanouit progressivement et prend de la puissance. La pulsation est présente dans la partition, mais la chorégraphie, basée sur les techniques de danses urbaines, est parallèlement orientée vers la torsion et le tournoiement des corps, formant des volutes dans un mouvement continu. A partir des respirations, Mickaël Le Mer dessine le mouvement et l'intègre aussi bien horizontalement que verticalement dans sa chorégraphie démultipliée, sans jamais perdre le lien du hip-hop avec le cercle et la virtuosité, que l'on retrouve dans les battles auxquelles certains danseurs ont participé au cours de leur parcours.

La lumière a toujours été une préoccupation du chorégraphe, qui est accompagné du même régisseur depuis ses débuts. En 2022, il marque un tournant avec Les Yeux Fermés, une création inspirée du peintre Pierre Soulages. Depuis cette pièce, il souhaite que la lumière soit aussi un interprète, en mouvement. Cette nouvelle création est pour lui et son régisseur lumière l'occasion d'apprivoiser la nouvelle technologie du LED. Dans les lumières tamisées des projecteurs individuels mobiles qui montent et descendent des cintres en sculptant l'espace, la douceur domine dans les duos et solos des corps des danseurs, qui forment une vague infinie.

C'est le Boléro de Ravel qui constitue la musique de la partie finale du spectacle, avec une duplication de la douche lumineuse, sous lesquelles s'installent les neuf danseurs pour un ballet de mains. Ojan Sadat Kyaee, l'un des danseurs, de nationalité iranienne, est particulièrement virevoltant dans le style des derviches tourneurs, et l'ensemble des interprètes fait preuve d'une exceptionnelle virtuosité avec un grand relâchement et une décontraction du corps. Dommage que les costumes soient un peu trop informes, scorie de l'esthétique hip-hop. Comme il a commencé, le spectacle s'achève sous la douche lumineuse, un belle façon de fermer la boucle.

No Matter de

Au Théâtre La Licorne, c'est une tribu d'animaux étranges, aux cornes de zébu et en robes de dentelle blanche, qui s'élance dans un ballet fantastique et talqué intitulé Nuits blanches, première pièce de cette étonnante trilogie. Les cornes deviennent des couteaux que les interprètes brandissent formant cette fois une armée masquée de blanc, fantômes aux volontés inconnues. La danse s'inspire fortement de cette vocation guerrière avec un emprunt aux arts martiaux et une forte physicalité.

Alors que le rythme percussif de la musique s'intensifie, les masques tombent, dévoilant une troupe entièrement féminine de neuf danseuses évoquant les Amazones, ces femmes guerrières de l'Antiquité. C'est alors la sensualité des femmes au bain que l'on retrouve dans ce défilé d'odalisques entre des voiles blanc suspendus aux cintres, formant un cocon. Hervé Koubi a rencontré ces jeunes danseuses coréennes lors de La Biennale de Busan en Corée et s'est inspiré pour cette pièce d'une tradition coréenne ancienne, celle de Ganggangsullae qui dansait la nuit, pendant la pleine lune et a permis aux femmes de repousser l'ennemi lors d'une tentative d'invasion au XIVe siècle. Il puise dans la culture coréenne et notamment dans les relations des femmes avec la société pour construire cette pièce.

Tandis que les filles (girls) se relèvent et quittent le plateau, sept danseurs hommes (boys), métisses pour la plupart, prennent le relais en jean blanc et torses nus pour une reprise de la pièce Boys don't cry, créée par Hervé Koubi en 2018. Démarrant dans une lenteur étudiée, cette pièce est une exploration de la masculinité, une puissance virile qui puise dans l'écriture corporelle hip-hop et contemporaine. La qualité de la danse et de la composition, y compris avec des portés acrobatiques et spectaculaires, se combinent pour capter l'attention.

Cette pièce jubilatoire est une manifestation de la fierté et de l'expression de la joie masculine, qu'ils soient supporters de foot (en bande-son, le commentaire du match mythique de l'équipe de France en 1998 face au Brésil, au Stade de France) ou au contraire, figurent de jeunes garçons qui n'avaient pas envie d'aller à l'entraînement et auraient préféré faire une autre activité. Là encore, arts martiaux, haka néo-zélandais et gestuelle sportive se mêlent dans une écriture très tonique. La pièce s'achève en célébration disco sur fond de néons rose avec des danseurs musclés d'une incroyable énergie et avec une part assumée de féminité et de virtuosité qu'ils ont véritablement envie de partager avec le public.

Avec l'arrivée tonitruante par la salle des danseuses coréennes, c'est une troisième pièce, Take back the night, qui s'enchaîne aux deux précédentes, dans cette soirée décidément pleine de surprises. Dans un décor de boite de nuit coréenne, un groupe live électro pop composé d'une chanteuse guitariste et d'un basse, Dear Deer venu de Lille, impulse une esthétique rock dans cette pièce ultra énergique. Hervé Koubi dit avoir voulu reconstituer l'esprit des bus karaoké qui circulent partout en Corée, et aime l'idée du « danser ensemble », comme il l'explique dans l'entretien qu'il nous avait accordé en 2023.

Dans un deuxième tableau un peu superflu, les danseuses équipées de souffleurs d'air brandis comme des bazookas déclinent l'imagerie « sexy » des femmes soldats, créant une dissonance avec l'image plus douce de la femme véhiculée en début de spectacle. La dimension phallique de l'engin limite les possibilités du mouvement et donc de chorégraphie. Le chorégraphe joue aussi maladroitement autour du cliché des photos de mode où l'usage du ventilateur est roi. Cependant, la pièce s'achève sur un finale plus apaisé avec un air de Didon et Enée de Purcell, Remember Me, pour un porté collectif sophistiqué et poignant.

Crédits photographiques : © Palais des Festivals – Nathalie Sternalski

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