Le 19ème Concours international Animato et 3ème édition « Frédéric Chopin » s'est déroulé du 4 au 8 décembre salle Cortot à Paris. Vingt-quatre pianistes étaient en lice.
Ouvrant, salle Cortot, à l'École normale de musique de Paris, la deuxième session du 19ème Concours Animato, et la 3ème édition consacrée à Chopin, Marian Rybicki, son fondateur et directeur artistique, se félicite de « l'unanimité du jury » pour décider quels candidats exclure et lesquels garder au deuxième tour.
On peut se demander, tout comme l'ont fait certains membres du public, si cette unanimité, ce consensus sur ce qu'on recherche, n'entraîne pas aussi une uniformisation des pianistes eux-mêmes. Et l'ennui qu'on éprouve parfois au concert, en allant entendre des virtuoses. Deux éléments qui pourraient peut-être expliquer l'absence d'engouement du public plus jeune pour la musique classique en général et pour Chopin en particulier. Si les pianistes, eux, sont très jeunes, on voit en effet une majorité de cheveux gris dans le public de ce concours, et dans les salles de concert.
Premier tour
À Cortot, les 4 et 5 décembre 2025, le premier tour fait entendre, dans une salle presque vide, 9 Chinois, 4 Japonais et un Coréen, plus un Australien d'origine chinoise, 15 Asiatiques sur 24. C'est devenu la norme dans de nombreux concours, plus de la moitié des candidats viennent d'Asie. Et au dernier Concours Chopin de Varsovie, ils ont emporté tous les prix ! À Cortot, il y a tout de même deux Français, deux Azerbaïdjanais, un Bulgare, un Polonais et un Americano-polonais.
Cinq candidats nous ont impressionnés par l'émotion de leur jeu.
Murad Abasov, venu de Bakou, costume blanc, démarche de fauve, fait flotter les notes du Nocturne op 9 n°1 comme de lourds flocons ouatés dans le silence de la neige, et la fureur de sa première Etude de l'op.10 ensuite, n'en est que plus prenante, malgré des erreurs. Son Étude 6 en sol dièse mineure de l'op.25, bien qu'imparfaite, est poignante, échevelée, une course contre le destin qui rappelle celle de la Lorelei. Sa Balade, remplie de surprises comme des vues imprévues sur un itinéraire pourtant connu désoriente un instant très agréablement comme on aime à se faire peur pour mieux se retrouver. Un pianiste encore instable mais capable de séduire un public.
À l'inverse, Junho Cha nous séduit par son toucher délicat et la richesse de ses nuances. Le souffle suspendu du Nocturne n°1 de l'op.48, lié, vivant, léger, suivi du tourbillon des quatre études, virtuoses, expressives.
Raphaël Collard aussi nous enchante, discret mais subtil, proposant de petits déplacements de rythme, à peine, avec des sonorités et des couleurs nouvelles sur le Steinway de la salle Cortot.
L'interprétation d'Antoni Kleczek fait tout à fait penser à ce que l'on sait du jeu de Chopin, léger, comme à l'instant jailli, improvisé presque, avec un beau son clair et des nuances de perles pour un Nocturne op 9 n°3 dans une douce lumière de nuit, propice aux rêves. Ses quatre études sont parfaites, maîtrisées, volubiles, et sa Balade n°4 de l'op 52, une merveille de rigueur poétique frisant l'abstraction.
Miki Yamagata, seule femme, impose une présence légère et fluide, avec un tempo à peine fondu parfois et toujours précis. Son jeu imagé est authentique et rassurant.
Hasan Ignatov, Premier Prix – Maximo Klyetsun, Deuxième Prix Ex Æquo et Prix du Public – Mateusz Krzyzowski, Deuxième Prix Ex Æquo
Deuxième tour
Une fois disparus trois pianistes captivants, on se demande de quoi il s'agit finalement dans un concours, doit-on primer la précision et la perfection du savoir-faire, chercher un candidat consensuel au risque d'ennuyer, ou valoriser une performance exceptionnelle et captivante, en tolérant quelques égarements ? Qu'aurait dit Chopin ? Qu'aurait dit Cortot ?
Miki Yamagata n'ennuie pas, elle joue la valse imposée avec un léger humour, puis impeccablement les 24 Préludes, sans prendre aucun risque.
Tantan Wang suit un tempo métronomique, sa Valse est un galop rigide, ses Mazurkas sont hachées menu, note pointée après note pointée, tic tic tic, très loin de la notion de danse.
La plupart des candidats s'appliquent à rester rigoureusement dans les clous, comme s'il fallait se fondre dans un modèle, parfois au point de se rendre indiscernables.
Ce n'est pas le cas de Maximo Klyetsun. Pianiste accompli, il joue sans une fausse note mais comme il retient par endroits l'écoulement naturel de la musique, manipule le rythme et déforme la phrase qui ne peut plus éclore, il occulte le sens général de la mélodie.
Shualin Li, après un Nocturne en op.62 n°2 lourd comme une marche funèbre, joue parfaitement la première étude de l'op.10, mais avec une légèreté surprenante qui en retire tout pathos et en augmente l'abstraction. Lui aussi tente de déconstruire et déstructurer, et aboutit à un discours vide de sens.
Cette façon de jouer se retrouve chez plusieurs autres candidats, très sûrs, qui font peu d'erreurs, mais n'enchantent pas.
Noam Berdel joue avec la perfection d'un robot, comme s'il avait fait sienne la honte prométhéenne décrite par Günther Anders, comme s'il cherchait à s'identifier à une machine exacte et surpuissante. Et c'est une erreur car l'instrument de musique est le seul instrument qui justement ne domine pas l'humain mais lui permet d'éclore et de communiquer. À l'inverse de la machine industrielle qui rapetisse l'humain, le piano ouvre au pianiste la possibilité d'aller au-delà de lui-même.
Les Mazurkas d'Hasan Ignatov sont lourdes, et son jeu métronomique continue dans la Sonate n° 3, pour finir par une Polonaise encore plus lourde que les Mazurkas.
Heureusement Junho Cha revient avec les 24 Préludes, joués avec une grande sobriété, bien ciselés, du ruissellement fluide du Premier, à l'inéluctable déroulé du dernier Prélude, porté par une main gauche déterminée, le tout avec des nuances et des couleurs là où il faut, et un rubato juste.
Miki Yamagata, Quatrième Prix Ex Æquo – Noam Bernel, Quatrième Prix Ex Æquo et Prix Special Valse « New York » – Haoran Zhu, Sixième Prix – Zixi Chen, Septième Prix
Finale
L'éviction de Junho Cha nous laisse avec la perspective d'une finale dominée par la virtuosité et la prouesse technique, conditions nécessaires certes, mais non suffisantes et qui semblent avoir pris le pas sur la recherche de la justesse et de l'intuition, sans lesquelles la musique reste vide.
Présidé par l'omniprésent Dang Thai Son, dont l'élève Eric Lu a eu le 1er prix au dernier concours Chopin de Varsovie, en octobre, le jury, couronne de jeunes virtuoses dont certains, figés par leur grande technique, ont encore à découvrir les charmes de la mélodie.
« Il faut chanter si l'on veut jouer du piano, il faut que vos doigts chantent, répétait Chopin à ses élèves, chaque note est une syllabe, chaque mesure un mot, chaque phrase est une pensée. »
Le Chinois Zixi Chen qui semble au deux premiers tours, très rigide, surprend avec la plus belle Valse de tout le concours. Sa Polonaise Fantaisie, moins aboutie, est agréable aussi. Il a le 7ème prix. Le 6ème prix va à un autre Chinois, Haoran Zhu dont la Berceuse mécanique, sans respiration, augure mal, mais sa Polonaise Fantaisie aérienne compense. Le 4ème prix ex aequo réunit la sensibilité de la Japonaise Miki Yamagata et la trop sage virtuosité du Français Noam Bernel. Le Portugais Maximo Klyetsun cumule le Prix du public et le 2ème prix ex aequo avec le Polonais Mateusz Krzyżowski, et le 1er prix couronne les parti pris audacieux du pianiste bulgare Hasan Ignatov.
« Rien n'est plus odieux, disait encore Chopin, qu'une musique sans signification cachée. Jouez ce que vous sentez, mettez votre âme. ». Et c'est bien ce qu'on aurait voulu entendre davantage à Cortot.