Margaux Blanchard et Sylvain Sartre ont choisi le mini-opéra Los Elementos d'Antonio Literes pour la quatrième édition du JOBE, mêlant l'élégance italienne à la fougue espagnole.
Compositeur et violoncelliste à la chapelle royale de Madrid, Antonio Literes Carrión fut maître de chapelle durant le règne de Philippe V. Il composa Los Elementos, « opéra harmonique dans le style italien », en 1705. Un premier enregistrement par l'ensemble Al Ayre Español d'Eduardo Lopez Banzo en 1998 ressuscitait cette œuvre méconnue. Elle réunit les quatre éléments (l'Air, l'Eau, le Feu, la Terre), l'Aurore et le Temps dans une allégorie poétique aux résonances étonnamment contemporaines au regard des enjeux climatiques. La journée symbolique se déroule en trois séquences, de la fin de la nuit à l'arrivée du soleil, en passant par la naissance de l'aurore. L'aspect poétique du sujet est renforcé par une projection vidéo en fond de scène, évoquant les différentes étapes du réveil de la nature.
À l'initiative de l'ensemble Les Ombres, le Jeune Orchestre Baroque Européen rassemble chaque année des musiciens issus de conservatoires supérieurs de toute l'Europe pour un projet d'insertion professionnelle, sous la direction bicéphale de Margaux Blanchard et Sylvain Sartre. La précédente promotion nous avait proposé un mémorable Vénus et Adonis de John Blow. Et c'est une équipe complétement renouvelée qui met sa jeune énergie au service de cette œuvre qui signe la naissance de l'opéra espagnol. Issue de la zarzuela du XVIIᵉ siècle hispanique, l'œuvre intègre les influences harmoniques italiennes pour un résultat d'une vitalité réjouissante. La variété rythmique est saisissante, avec des changements de métrique binaire/ternaire qui se succèdent à un rythme effréné, bien soulignés par les percussions de Mirabelle Kalfon (CRR Paris). La complicité entre instrumentistes et chanteurs est remarquable et offre de très intéressants dialogues, comme celui de l'Air avec le beau solo de viole de Marino Gonzalès (Schola cantorum Bâle). Le continuo est d'une grande richesse expressive, agrémenté par les interventions de la harpe d'Henriette Urban (Schola cantorum Bâle) et l'orgue et le clavecin d'Agata Sorotokin (Conservatoire royal La Haye).
L'énergie communicative de la jeunesse convient parfaitement à ce répertoire plein d'allant. La distribution vocale réunit quatre sopranos, un contre-ténor et un baryton. Tous font preuve d'une belle présence scénique et d'un engagement remarquable. Dans le rôle de l'Eau, Pauline Gaillard (CNSMD Paris) nous offre un air très touchant accompagné par la harpe. En dernière partie, l'air Quedito, silencio de l'Aurore (Antonina Stepanova, CRR Paris) est un sommet poétique de l'œuvre. Le baryton Paul-Émile Burgevin (CNSMD Paris) est très convaincant dans le rôle du Temps, malgré ses trop rares apparitions. Mais c'est le très jeune contre-ténor hollandais Tibbe Alkemade (Schola cantorum Bâle) qui est la révélation de cette distribution, où il joue le rôle du Feu, avec des aigus remarquables qui en font presque un sopraniste. L'interprétation vocale met en avant chez chacun et chacune un grand sens de la théâtralité, qui compense l'acoustique trop sèche d'une scène peu propice à ce répertoire. Après l'affrontement des éléments, l'Aurore disperse les ténèbres et un chœur final (qui sera repris en bis) vient joyeusement saluer le lever du jour.