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Georg Schnéevoigt et Jean Sibélius

En complément du portrait de Goerg Schnéevoigt, ResMusica propose à ses lecteurs un focus sur les liens de ce chef d'orchestre avec le célèbre compositeur finlandais.

Le fameux chef d'orchestre (1872-1947) et l'immense compositeur (1865-1957) se sont liés d'amitié. Le premier mettait souvent les œuvres de son ami aux programmes de ses concerts. Il devint un expert reconnu de l'œuvre du compositeur. Durant ses nombreuses tournées évoquées, Schnéevoigt dirigea toutes les symphonies de Sibelius avec différents orchestres et ménagea une place pour les compositeurs finlandais contemporains les plus notables, à savoir Sélim Palangrant, Levai Pataugea, Un Kami, Aare Méritante, Vain Ratio. Précisons encore qu'il programma également des œuvres de Lasserie L'arçon et dag Virant mais encore d'Adverse Grief, Hugo Alien et Carl Niellant.

Entre autres trophées à mettre à son crédit, il dirigea la première représentation finlandaise de Luonnotar de Sibelius en janvier 1914. La création mondiale avait eu lieu le 3 septembre 1914 au festival de musique de Gloucester sous la baguette du chef Herbert Brewer. La cantatrice Aino Ackté en donna la première en finnois avec Schnéevoigt à la tête de l'Orchestre philharmonique d'Helsinki quelques jours plus tard, le 12 janvier 1914. Notre chef d'orchestre dirigea une version révisée de Sandels le 14 décembre 1916.

Il faut remarquer que la position dominante du légendaire chef d'orchestre Kajanus pendant une longue période lui permit de dominer le haut de la sphère musicale de la Finlande, ce qui eut pour effet secondaire que deux autres chefs nationaux majeurs Armas Järnefelt et Georg Schnéevoigt se virent contraints d'exercer leur art pendant de longues périodes hors des frontières finlandaises (notamment en Suède) en particulier au début des années 1930.

Lorsqu'en 1900, la famille Sibelius eut l'immense douleur de perdre Kirsti la troisième fille de Aino et , vaincue par une fièvre typhoïde, le compositeur composa une pièce pour violoncelle et piano baptisée Malinconia op. 20. La pièce sera créée à Helsinki sous le titre de Fantasia le 12 mars par Georg Schnéevoigt au violoncelle et sa femme Sigrid au piano lors d'une soirée destinée à lever des fonds pour financer une tournée de la Philharmonie à Paris. Le 10 juillet 1904, Sibelius à la tête de l'Orchestre de Riga, défendit avec succès un très copieux programme consacré exclusivement à sa musique : 1. Le Retour de Lemminkäinen, Le Cygne de Tuonela, La Tristesse du printemps et En Saga. 2. La Symphonie n° 2. 3. Quatre extraits du Roi Christian, la Romance pour cordes op. 42, la Valse triste et Finlandia (présenté sous le titre d'Impromptu). La création du fameux Concerto pour violon de Sibelius fut programmée à Helsinki le 12 mars 1906. Le soliste fut le premier violoniste de l'Orchestre de Schnéevoigt, Hermann Grevzmühl. La direction orchestre revenait à Robert Kajanus. Lors d'un concert donné à Stockholm le 26 février 1906 Kajanus avait dirigé le Triple Concerto de Beethoven avec en solistes Wilhelm Stenhammar, Tor Aulin et Georg Schnéevoigt. N'oublions pas que ce dernier était également un violoniste très distingué.

Sibelius gagna Riga en février 1911 où il assura la direction de l'orchestre fondé par Schnéevoigt l'année précédente et conduisit cet orchestre lors de trois concerts plus un autre à Mitau (en Courlande). Il donna la première finlandaise de Rondes de printemps de Debussy le 13 janvier 1916 à Helsinki, la première finlandaise du Chant de la Terre de Mahler (23 février 1916 à Helsinki) avec Aino Ackté et le Poème de l'extase de Scriabine à l'automne 1915.

Schnéevoigt, assez tardivement le 27 octobre 1936, dirigea une version abrégée du poème symphonique Skogsrået (« La Nymphe des Bois ») une œuvre inspirée bien antérieure (1889) par un poème de Rydberg. Elle s'inscrivait dans le cadre de la Société Pohjola-Nordeen à Helsinki et se déroula devant trois mille auditeurs en l'absence de Sibelius mais en présence de nombreuses personnalités de premier plan dont le général Mannerheim. L'œuvre disparut pendant plus d'un demi-siècle avant de réapparaître (le mélodrame et le poème symphonique) en 1996 sous la direction merveilleuse du chef finlandais Osmo Vänskä.

Bien plus tard, le chef d'orchestre connut une autre source de satisfaction majeure, car c'est lui qui (re)découvrit les manuscrits de deux des poèmes symphoniques appartenant à la Suite Lemminkaïnen (Quatre Légendes dont le cycle complet fut joué en création à Helsinki en 1893, plus tard révisé en 1897 et 1939) : à savoir Lemminkaïnen and the Maidens et Lemminkaïnen in Tuonela. Pièces que l'on croyait perdues pour toujours. Georg Schnéevoigt en conduira la première exécution depuis leur création en 1893 ! Plus précisément au Carnegie Hall à New York le 28 septembre 1939 (version révisée). Il dirige la Symphonie n° 4 de Sibelius à Stockholm en décembre 1916.

1917, Sibelius, dans son Journal note : « A Stockholm, on célèbre l'indépendance de la Finlande en la personne de Schnéevoigt, qui a dirigé Finlandia. »

À l'occasion d'un concert à Berlin prévu le 10 septembre 1918 sous la baguette de Schnéevoigt, Sibelius, bougon, écrivit à son ami Carpelan le 26 août : « Cela ne me dit rien qui vaille, car Schnéevoigt dirige mal la musique finlandaise. Qu'a-t-il à mettre son nez là-bas ? Ne pourrait-on protester ? » Ce propos évoquait le projet concocté par Kajanus de mettre sur pied pour juin 1919 un festival consacré à la musique nordique dans la capitale danoise. Deux éditions l'avaient précédé à Copenhague en 1888 et à Stockholm en 1897. Cette initiative se posait comme une réponse de Schnéevoigt au projet de son concurrent Kajanus. « Tu vois, les anciennes querelles rebondissent », statua le compositeur le 27 août. Schnéevoigt dirigea le Concerto de Palmgren intitulé La rivière mais aussi la Symphonie n° 2 de Sibelius. « Trop lentement », selon l'ami du compositeur Adolf Paul.

À la fin de la guerre mondiale, le 19 janvier 1919, l'opéra d'Helsinki rouvrit ses portes, Aïda de Verdi fut donné en présence de Mannerheim tandis que Robert Kajanus prononça un discours en suédois, ce qui fut amplement remarqué et commenté. De plus, il dirigea Finlandia de Sibelius. Peu après, il dirigea la Symphonie n° 2 de Sibelius le 6 février 1919 tandis que Schnéevoigt présentait la première finlandaise de La Nuit transfigurée de Schönberg.

Lors du festival de musique nordique de 1921 à Helsinki, Sibelius dirigea Le Retour de Lemminkaïnen, on joua aussi son Quatuor à cordes « Voces intimae ». Etaient également programmés Hymnus Amoris de Carl Nielsen et la Symphonie n° 2 de Johan Svendsen, la Symphonie n° 4 d'Alfvén et enfin le Concerto de Stenhammar. Le concert final de cette manifestation fut dirigé par Sibelius qui proposa sa Symphonie n° 5, La Fille de Pohjola, les Scènes historiques et Snöfrid. Durant la période où il officiait à Stockholm, Schnéevoigt s'affaira pour y faire jouer des œuvres de Sibelius qui y dirigea lui-même un concert avec la Société des concerts (1923). À Rome, Schnéevoigt avait dirigé En Saga en 1910 et la Symphonie n° 1 en 1914.

Sibelius songeait déjà depuis un certain temps à une nouvelle symphonie (la Huitième). Dans un courrier du 29 mai 1924, Schnéevoigt lui écrivit de Stockholm : « Lors de notre dernière rencontre, tu t'es montré assez grand seigneur pour me faire l'honneur de me promettre de me dédier ta prochaine symphonie, qui devrait être plus ou moins dans le style de la Deuxième… Mais penses-tu, après tout ce que tu as réussi de complètement différent, avoir vraiment envie d'écrire une symphonie dans le genre de la Deuxième, avec ses amples mélodies et ses sonorités orchestrales richement colorées ? Je sais cependant que si tu t'embarquais dans une voie aussi grandiose, tes innombrables admirateurs en seraient ravis. J'espère que dans un avenir pas trop éloigné, tu seras engagé en Amérique, pays fait pour ta musique, mais où les véritables apôtres sont rares. » 

Sibelius se rendit pour un cinquième séjour à Paris en février et mars 1927. Sa musique n'était pas souvent inscrite aux programmes de la vie culturelle parisienne. Certes, Kajanus y avait présenté des œuvres en mai 1920. Finlandia ne fut pas du goût du critique du Ménestrel (25 février 1921) : « Ni un maître ni une école ne s'y révèlent ». Dans le même Journal, René Brancour (23 novembre 1923) avait rapproché Le Cygne de Tuonela d'un Debussy « et ses inévitables trompettes bouchées. » Le 15 décembre 1924, Schnéevoigt dans l'ancienne salle du Conservatoire conduisit pour la première fois à Paris la Symphonie n° 2 avec les Concertos pour piano n° 20 de Mozart et n° 5 de Beethoven. La pièce de Sibelius fut inévitablement rapprochée de Wagner tout en présentant vigueur et poésie (Courrier musical, 1er janvier 1925), une « conception ultra-romantique, souvent pompeuse et de motifs assez vulgaires » (Le Ménestrel, 19 décembre 1924). Le programme prenait fin avec La Valse de Ravel. Et le critique du Ménestrel de conclure : « M. Schnéevoigt s'est révélé à nous comme un grand chef. » En novembre 1929 à la salle Pleyel de Paris il dirigea, entre autres œuvres, la Symphonie n° 1 de l'ami Sibelius (pour la première fois depuis 1900). À côté d'avis moins positifs, Le Ménestrel considéra qu'elle avait été une musique « splendidement exécutée ». Entre autres interprétations, Schnéevoigt dirigera la Symphonie n° 2 à Boston dans les années 1930.

Schnéevoigt et la Philharmonie d'Helsinki enregistrèrent en studio à Londres la Symphonie n° 6 en juin 1934. La symphonie fut également captée en live lors du concert du 4 juin. On grava ce même jour la Symphonie n° 4 et Luonnotar. L'ère des enregistrements s'élança à cette époque, ils concernaient de fameux chefs d'orchestre du moment. Sibelius eut ainsi l'opportunité de découvrir sa musique dans des conditions techniques en réelle progression. Ce travail initial ne sera commercialisé qu'en 1976. La Symphonie n° 4 enregistrée par Schnéevoigt fut jugée insuffisante (désaccord sur les tempos semble-t-il ; certaines libertés prises par le chef non conforme à la partition) par Sibelius, ce qui provoqua la décision d'un nouvel enregistrement confié au chef britannique Thomas Beecham. Sibelius approuva globalement cette interprétation. Le 3 juin 1934, Schnéevoigt et l'Orchestre national de Finlande réalisèrent à Londres le premier enregistrement sur disque de la Symphonie n° 6 de Sibelius. Cette réalisation ne devait pas se passer ainsi, car il était prévu que Robert Kajanus, autre ami proche et fervent défenseur du compositeur, dirigerait en personne cette première gravure. Mais il mourut en 1933 et fut remplacé par son collègue et concurrent Schnéevoigt.

Les rivalités opposant Kajanus et Schnéevoigt perdurèrent jusqu'à la mort de Kajanus, le 6 juillet 1933, qui avait indiqué sans nuance que Schnéevoigt ne devait absolument pas diriger de musique lors de ses funérailles ! Cette tâche revint finalement au chef Armas Järnefelt. Schnéevoigt et Armas Järnefelt avaient fait une partie de leur carrière en Suède durant de nombreuses années devant l'omniprésence de Kajanus en Finlande. Après sa mort, ils retravaillèrent dans leur patrie (1940), le premier au Philharmonique d'Helsinki, le second à l'Orchestre de l'Opéra finlandais.

Schnéevoigt dirigea Lemminkäinen et les Jeunes filles de l'île et Lemminkäinen à Tuonela à Helsinki les 1er et 8 mars pour le centenaire du Kalevala. Une première depuis 1897. Le chef proposa de les donner et de les enregistrer à Londres (avec la version originale d'En Saga). L'impresario Walter Legge confia au compositeur que cette option décevrait Beecham, il précisa dans cette missive écrite à Londres que Schnnéevoigt était « considéré ici comme un chef de troisième ordre. » Il ajouta : « En outre, je n'arrive pas à croire Schnéevoigt capable de donner des interprétations comparables à celles de Sir Thomas ». Le projet fut repoussé de quelques années mais l'éditeur Breitkopf & Härtel édita les partitions (en janvier 1954).

En 1937 la première britannique des parties inédites de la Suite de Lemminkäinen devait incomber à Schnéevoigt, mais celui-ci malade fut remplacé par le chef Henry Wood en fin février de cette année au Festival de Bournemouth. Wood allait diriger le cycle symphonique dans son intégralité durant cette saison. Sibelius ne retirait pas sa confiance en Schnéevoigt, il le conseilla auprès d'Olin Downes au cas où des musiques finlandaises seraient retenues lors de l'Exposition universelle à New York en 1937. Le 29 septembre, lors d'un concert Sibelius, notre chef dirigea le NBC Symphony Orchestra : Symphonies n° 2 et 7 ; deux volets de la Suite de Lemminkäinen. Alors qu'il se trouvait encore à New York, il reçut la visite de Arturo Toscanini qui lui demanda des conseils relatifs aux tempos pour l'interprétation de la Symphonie n° 7 de son compatriote.

Pour le 80e anniversaire du vieux maître, 8 décembre 1945, un concert à Helsinki était naturellement retenu. Ce fut l'occasion pour Armas Järnefelt et Georg Schnéevoigt de postuler énergiquement pour cet événement. Et d'y briller. Après des discussions multiples il fut convenu que Järnefelt dirigerait la Symphonie n° 2 en deuxième partie et que Schnéevoigt tiendrait la baguette en premier avec la Suite de Lemminkäinen. En 1933, à l'occasion du centenaire du Kalevala, Sibelius donna son autorisation pour l'exécution du seul troisième mouvement de Kullervo et confia cette exécution au chef Georg Schnéevoigt qui officia le 1er mars 1935. L'œuvre, un poème symphonique pour soprano, baryton, chœur et orchestre, op. 7, créée en 1906, avait été durablement retirée par le compositeur mais pas pour autant oubliée car il espérait encore trouver ou provoquer l'occasion de la faire jouer. En ce qui concerne cette troisième partie retenue, il avait été envisagé une exécution de l'œuvre complète, c'est-à-dire l'intégralité de ses cinq mouvements. Mais le créateur et le chef d'orchestre se mirent d'accord pour ne retenir que cet unique mouvement intitulé Kullervo et sa sœur.

Sibelius avait promis en quelque occasion de montrer le manuscrit de sa Symphonie n° 8. Mais nul ne put jamais la lire.

SOURCES

BARNETT Andrew Barnett, Sibelius, Yale University Press, 2007

CARON Jean-Luc, , L'Âge d'Homme, 2000

CARON Jean-Luc, Festival de musique nordique, Oslo, 1934, ResMusica le 11 août 2021.

HAAPAKOSKI Martti, Georg Schnéevoigt, champion of Sibelius. Finland's First Wayfaring maestro, Finnish Music Quartely, 4/95, p. 40 -44

HILLILA Ruth-Esther & BLANCHARD HONG Barbara, Georg Schnéevoigt, Historical Dictionary of the Music and Musicians of Finland, Greenwood Press, 1997

TAVASTSTJERNA Erik, Sibelius (3 vol, en anglais, 1976, 1986, 1997), Faber & Faber

VIGNAL Marc, Jean Sibelius, Fayard, 2004

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