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Les saisons transversales

Festival de Radio-France et de Montpellier Languedoc-Roussillon

La paraphrase des saisons est une récurrence de l'inspiration musicale. Aux côtés de Vivaldi, Haydn et Tchaïkovsky, d'autres s'y sont essayés ; témoin le disque de précisément ( «  Les huit saisons » : Vivaldi, et arrangement de Piazzolla par… Desyatnikov). Ce compositeur n'a pas manqué de dédier à son ami letton une œuvre sur ce thème universel. On sait déjà l'éclectisme de Kremer – «  grand » répertoire, musiques extra-européennes et/ou contemporaines – et son refus des cloisonnements, comme des sages ordonnancements programmatiques.

Aussi entre-t-on de plain-pied dans la nouveauté slave avec la relecture du célèbre cahier pianistique de Tchaïkovsky par Alexandre Raskatov. La s'enrichit pour l'occasion de piano et vibraphone ; tandis que sur fond d'accords dissonants, le Letton capricieux ne manque pas de faire son entrée en catimini, d'un long accord tenu de premier violon, comme ajustant ses compagnons avant la musique. Celle-ci captive d'emblée par sa propension spontanée à intégrer, et non délayer, l'auteur de Yolanta, dans un vaste corpus qui respecte son esprit, sinon sa durée et son ampleur (forte perspective symphonique).

En effet, mêle des pages tchaïkovskiennes seulement transposées, des inspirations de son cru, ou un croisement des deux, avec un climat qui parvient, sinon à surpasser, du moins à renouveler l'original, et dans une perspective contrastée non moins alléchante (les castagnettes de Kremer !). A noter l'importance de la contrebasse, et la technique souvent exacerbée des instruments. Excellente mise en condition pour la véritable création qui suit : Saisons russes, de Desyatnikov.

Ami du violoniste, donc, et comme lui à l'affût de toutes les transversales. En l'occurrence : à l'instar d'un Bartok, une veine folklorique, patiemment collationnée et souvent dolente ; dans laquelle la soprano Yulia Korpacheva introduit une intensité confondue à celle des cordes – violon solo en particulier. Et même une pointe de piété, le compositeur ayant fait de chaque saison un triptyque selon la liturgie orthodoxe. L'étonnant est que cela est totalement imbriqué dans une architecture à facettes, ne dédaignant ni la référence vivaldienne (pizzicati), ni l'onctuosité incantatoire (unisson sur la quatrième corde), ni la rythmique américaine (du nord comme du sud) que les complices affectionnent.

L'oreille reconnaît encore un soupçon de Carmina Burana et de sons tziganes. Tout ceci aurait pu n'être qu'un patchwork ; l'exploit, il faut le répéter, réside dans la cohérente russité du tout, en quoi on ne sait qui louer le plus : l'auteur, Korpacheva parfois instrumentalisée, les cordes et leur propension chorale ; et Kremer, au medium de sous-bois en automne. On est presque déçu – manière de parler – de retrouver un pilier, et l'une des plus belles partitions qui soient : le Quintette en ut de Schubert, très connu, mais jamais trop.

Pari osé que de confier un tel chef d'œuvre, défini pour deux violons, un alto et deux violoncelles, à vingt-deux artistes. Le Letton, auteur de la transcription, quadruple les violons et cherche à raffiner le grave en adjoignant deux contrebasses à quatre violoncelles. L'ajout de rien moins que huit altos, dont le bas de la tessiture caresse souvent par le pourtour les clefs de fa, corrige le léger déséquilibre qui aurait pu naître. Une disposition savamment asymétrique, étudiée (à répétitions forcées) pour cette salle, parachève le stratagème du sourcier. Et la musique ? Telles Fleming et Von Otter dans leur si réussis disques de lieder, la Kremerata dépoussière son Schubert ; l'allège tout en le densifiant, le veut dansant et introspectif ensemble ; sans rien amplifier, comble de luxe pour un effectif augmenté.

Rarement le second thème de l'Allegro a paru si beau : diaphane, détaché du monde ; ainsi que la cantilène de l'Adagio ou le Trio du Scherzo. Les silences sont impressionnants, et les syncopes très marquées martèlent dans le Finale, après l'Andante sostenuto, une énergie tellurique ; en écho au développement du I, au maelström central du II et au staccato païen du III. Succèdent d'irisées cascatelles, avant un dernier accord lugubre puis apaisé, dans l'unisson le plus ténu. Voyage d'hiver ou sacre du printemps, ce Schubert-là appartient aussi au rythme des saisons que la s'est proposé pour un soir. Dans le deuxième bis (Piazzolla), en forme de gag à la Symphonie des Adieux, chacun part l'un après l'autre, comme est venu : sur la pointe des pieds.

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