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Un peu de Spohr pour Anne Sofie von Otter

Depuis quelque temps, multiplie les récitals, voire le cross-over (Folksongs, Home for Christmas, Elvis Costello…) ; alors que parallèlement, ses intégrales d'opéra se raréfient. D'aucuns n'ont pas hésité à y déceler des signes avant-coureurs du déclin. Il leur faudra, c'est bien le mot, déchanter. Quand elle offre à une Ariane à Naxos en tous points exceptionnelle – on en reparlera – un Sacre du Compositeur, cet Orphée straussien ; voici qu'un nouveau disque de mélodies lui donne à poursuivre son divin vagabondage.

Vagabondage, Beethoven ? Certes oui, présentement. Placé à dessein entre Meyerbeer et Spohr, dans un ensemble qui ne cache pas son appartenance au genre de la mélodie de salon, il se voit représenté par quelques raretés, dont deux en italien. Faisons, d'emblée, un sort à la réputation de « petite forme » de ces divertissements exquis en soulignant que, davantage que les chefs d'œuvre peut-être, ils écartent sans appel le moindre manquement à la plus haute des musicalités.

A quarante-cinq ans, la mezzo-soprano suédoise, dont la voix s'est considérablement éclaircie, est au faîte de son métier – que dit-on : de son art, bien sûr ! Diction, sûreté, intelligence ; humour, tendresse, connivence avec les partenaires restent des atouts maîtres – encore perfectionnés dans ce parcours au sein d'un boudoir enchanté. On y goûtera du Beethoven hors des sentiers battus, depuis la Tomba oscura (qu'il faut aussi posséder par Bartoli), jusqu'à Adelaïde, en passant par Als die Geliebte.

Ces camées délicats, que la fleur d'oranger de Melvyn Tan au loin parfume (quel beau fortepiano, quel toucher enchanteur !), sont poursuivis avec distinction par Ludwig Spohr, l'auteur du Nonet et de Jessonda. Quelques orfèvreries, dont certaines raffinées par l'ajout d'un violon obligé, parfois un peu envahissant, il faut le reconnaître (la prise de son ?). Jamais ennuyeuses, ces ariettes, toutefois, ne se démarquent pas l'une de l'autre avec beaucoup de caractère (songer aux sensationnels Haydn en anglais, presque contemporains, réalisés par les deux mêmes !), et constituent un adieu simple et pudique à l'auditeur.

En revanche, le sommet est gravi d'entrée de jeu. Thomas Hampson voici dix années, chez EMI, avait apparié le créateur des Huguenots à celui de Guillaume Tell, dans un récital de mélodies elles aussi peu courues ; on y découvrait d'étonnants Meyerbeer, certains en français. Certes, guère subliminaux quant à l'accompagnement, et assez pauvres de texte (souvent égrillard, d'ailleurs). Mais offrant toute licence au chanteur pour faire étalage de ses dons de musicien-narrateur.

Von Otter remet le couvert, et cette fois-ci de manière quasi définitive. On se demande, en effet, qui pourrait nous refaire une telle Barque légère, où des sous-entendus scabreux font risquer le pire, aussi fine, subtile et… légère. Le récital de Garnier en 1999 avait, on s'en souvient, donné le ton en la circonstance. Etonnante Sicilienne encore, où se dessine déjà – gravité en moins – la geste mélodique de Berlioz. Sans parler de la Prière d'enfants, pour trois voix féminines ; bijou d'esprit qui, lui, ne se rattache à rien d'autre qu'à l'originalité du compositeur, qu'il est parfois de bon ton de mépriser.

Cette artiste, dont la stupéfiante carrière témoigne d'un éclectisme et d'une transversalité qui la rapprochent de Cathy Berberian, fait donc son miel et le nôtre, d'un voyage en trompe l'œil ; au sein duquel des oeuvrettes – car elles le sont, indubitablement – sont érigées en re-créations qui en disent parfois très long sur leurs auteurs. Et aussi, naturellement, sur Anne-Sofie von Otter elle-même ; l'une des plus belles voix du monde, dont voici sans aucun doute l'un des apogées.

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