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Les Andes Galantes de Gabriel Garrido au XXIV° Festival d’Art Sacré

De la nouveauté avant toute chose… A défaut de création mondiale, on aura eu la joie d'assister à la création européenne de trois bijoux de la musique sud-américaine baroque, redécouverts vers 1970 ; et ravivés par Garrido à l'occasion du Festival d'Art Sacré de Paris, dont il assurait l'ouverture.

Concert d'autant mieux venu, que dans la France entière se déroule concomitamment le Mois National du Baroque Latino-Américain (se reporter au dossier très complet du n° 36 de la revue Classica) !

Présente-t-on  ? Cet Argentin est détenteur de la « Médaille Mozart » de l'Unesco, laquelle couronne son travail en faveur du patrimoine baroque de son continent. Ce qui ne l'a nullement empêché – un peu par un mouvement contraire à celui des Conquistadores – de venir donner au Vieux Monde quelques leçons de bonne battue monteverdienne. Son label K 617 lui a prodigué une trilogie du maître de Crémone (Orfeo, Il Ritorno d'Ulisse in Patria, L'Incoronazione di Poppea) se hissant, d'emblée, au sommet d'une discographie de haut niveau.

Ce que nos oreilles d'Européens ont entendu renaître lors de cette soirée, ce sont trois œuvres anonymes, datant du début de l'histoire missionnaire jésuite dans le bassin pré-amazonien, placées par le chef en seconde partie. Cadre plus approprié que saint Roch, aux peintures de l'époque fraîchement rénovées ne se pouvait trouver. D'entrée de jeu (Cánite, pláudite, un appel à la fête dans l'esprit du « Jauchzet, Frohlocket » de l'Oratorio de Noël de Bach, pourtant luthérien), l'esprit collégial et ostentatoire de la Contre-Réforme se fait entendre par une alacrité, un sens de l'ornement et de la décoration bien servis par l'effectif retenu.

En l'occurrence : deux violons, un violoncelle, deux violoni, un hautbois, un basson, une flûte traversière, une flûte à bec, un cornet ; guitare, théorbe, harpe, clavecin, percussions, petit orgue. Lequel ne se prive pas de verser ce qu'il faut de contrepoint pieux à une musique si rythmique, si dansante, qu'elle pourrait éloigner un tantinet l'ouaille du texte sacré. Et Garrido de travailler en maître-queux un son très épicé, goûteux, voire… nourrissant (on songe parfois à la Missa Salisburgensis de Biber – version allégée, quand même !).

Plus important en durée, en inspiration et en variété est Ópera San Francisco Xavier, une superbe litanie pour soprano, mezzo et petit ensemble avec dialogues parlés. Saint François-Xavier, fidèle, on le sait, de saint Ignace de Loyola – fondateur de la Compagnie de Jésus – converse de manière lénifiante (prosélytisme jésuite) sur les joies promises aux croyants. Mais la musique, elle, dépasse – et de très loin – toute banalité de propos ; et toute linéarité d'écriture.

L'invention permanente, la science des combinaisons instrumentales, les ruptures de ton, le sens de la fusion entre les sonorités savante et populaire – ; la courbe sensuelle des cordes, la volupté des bois, la beauté simple et hypnotique des lignes vocales, le caractère vivant et doux à la fois des dialogues : on ne sait qu'admirer le plus, dans ce qu'on est en droit de nommer un chef d'œuvre de l'histoire de la musique sacrée. Noter la conclusion, sobre et coupante, d'une humilité inattendue, confiée aux trois voix qui s'étaient tues (soprano, contre-ténor, baryton), ainsi qu'au continuo.

Le premier volet du concert a permis de profiter d'œuvres andines signées, aux auteurs correctement identifiés, qui toutes ont en commun – entre autres merveilles – de mêler, avec naturel : dévotion bon enfant, écriture musicale très élaborée, et inspiration « folklorique ». Les parties vocales sont extrêmement importantes, et très bien défendues. On n'attendait pas moins d'un  ; il est agréable de constater que les sopranos et le contre-ténor, parfois ingrats dans ce répertoire versant européen, sont ici excellents ; et que le chef ne ménage pas son (immense) talent pour fondre leurs très beaux timbres avec son sens inné de la scansion narrative, dévolue au petit orchestre.

Il n'est pas de bon moment musical sans humour. Rendons grâces, et aux auteurs, et à , de nous l'offrir à deux reprises : in loco, dans le cours du programme, avec Afuela, apalta, une manière de plaisanterie musicale sur le tabac à priser apprécié, au grand dam des Blancs, par les Noirs exilés de Guinée ou d'Angola – orfèvrerie très spirituelle à laquelle Fabien Schofrin ne dédaigne pas de prêter des « Atchoum » cocasses ; et in situ, repris à l'identique, au moment du Bis : donc, après la grande tension de l'Opéra de saint François-Xavier. Comme exutoire en somme, très… prisé, par le public d'une église saint Roch bondée, à un cadeau si troublant, qu'il appelle davantage que des larmes.

Photographie :

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