- ResMusica - https://www.resmusica.com -

La dame est dans la vase

Après un Hàry Janos revu et corrigé par l'impossible Monsieur Scarpitta, un événement phare pour cette seconde soirée lyrique – une grande rareté de l'inénarrable Gioachino, la Donna del Lago, un opéra « expérimental » de l'enfant prodigue de Pesaro.

Créé en 1819, cet opera seria, d'après Walter Scott, est un éclatant drame patriotique, une flambloyante flamme épique crépitant d'un feu attisé en permanence par une illumination miraculeuse qui ne s'éteint jamais. Le brouillard écossais nous emporte dans quelque loch désertique, où vit en recluse une énigmatique Dame; elle médite le long de ce rivage brumeux sur le charme des jours passés.

Par-delà la dimension historico-politique complexe de la trame opératique : tortueuses querelles claniques, rivalités et contrariétés amoureuses, complots fomentés et aspiration mouvementée à la liberté ; c'est l'esthétique même de l'ouvrage qui retient l'attention. La nature, reine du temps et de l'espace, est le protagoniste principal qui enserre chaque destin de cette fresque héroïque. L'élément liquide, ce lac, miroir reflète les méandres sinueux de l'âme mélancolique des divers personnages. D'ailleurs, la partition étincelante de ce Maître des Eaux est en soi un profond lac ruisselant d'harmonies ondulantes, bouillonnantes et cristallines, créant un flux et reflux symphonique du plus bel effet.

Les Montagnes enténébrées habillées de conifères et de sombres forêts ; les plaines, les vallées de lande et de verdure sont davantage qu'un décor adventice, c'est l'âme écossaise qui vibre et respire dans chaque mélodie. Expérimental, cet opéra, atypique, paradoxal, l'est assurément par une orchestration coruscante, sauvage, martiale, très cuivrée. De vigoureuses masses chorales annoncent – chœurs des chasseurs et des guerriers – celles du Freischütz de Weber (à ce sujet, le remarquable Concertino pour clarinette de Weber est tacheté d'une luminosité rossinienne indubitable). Et aussi, l'ultime chef d'œuvre de Rossini, musicien franco-italien, en somme européen, Guillaume Tell, véritable traité d'harmonie et de musicologie ; voire les drames de Catalani (Lorelei – et bien sûr la Wally).

Au plan vocal, le personnage d'Elena, plutôt ménagé, évolue dans une tessiture centrale ; toutefois le rondo final, le « Tanti Affetti », avec ses notes piquées et ses à-pics de hautes cimes harmoniques ne dépassant guère l'Ut, est une des arie les plus assassines que Rossini ait écrites. La belle Katia (Ricciarrelli) dans l'enregistrement Sony-Pollini, à son zénith vocal, y était magistrale.

Le Chant Rossinien est partiellement retrouvé, avec – enfin – le ténor que l'on attendait après les superlatifs Rockwell Blake, et Ernesto Palacio, dont l'empreinte sans pareille a labouré les sillons belcantistes. Le ténor péruvien, « Don » , tout en insolence et générosité vocales, doté d'aigus solaires, d'un sens inné de la prosodie ; nanti de surcroît d' une déclamation élégiaque, d'une science incomparable – irradie de demi-teintes la cavatine du début de l'acte II, « Oh, fiamma soave ».

Après , l'an passé avec Risurrezione d'Alfano, s'emparant de l'énergique Malcolm, est une révelation. Dans la foulée d'un extraordinaire Tancrède à Marseille, face à l'Aménaïde d' – louangé par une presse unanime -, l'on rend les armes devant la projection admirable d'une voix très puissante. Ses éclats sont toujours idoinement dosés et, s'agissant d'une version de concert, elle s'investit avec zèle et ardeur. Autant de qualités parmi tant d'autres, dont Madame Brigitte Hahn est dépourvue.

De prime abord, elle donne l'impression de s'être trompée de partition, et de chanter un très austère oratorio qui l'ennuie prodigieusement (les auditeurs aussi). Ensuite, lorsqu' elle n'éructe pas d'étranges sonorités qui ressemblent à du glapissement, ou à de désagréables expectorations, elle reste cramponnée à son siège – que l'on voudrait éjectable –  ; et demeure indifférente à son entourage, comme l'an passé dans le rôle d'Esmeralda de Notre-Dame, qui n'est pas celle du Lac… Or donc, Il est préférable de taire une technique aberrante, dès lors que se profilent les notes à risques, c'est à dire à partir du la, et une vocalisation problématique. Le Rondo est purement et simplement escamoté comme si la redoutable Brigitte avait un TGV à saisir promptement. Le Maestro semble aussi pressé d'en finir ; et l'on assiste à une spectaculaire chute de tension.

D'où un bilan mitigé, laissant espérer, malgré ce sentiment de relative frustation, une reprise urgente de cet opéra majeur – en version scénique. Parce qu'il le vaut bien !!!

Crédit photographique :

(Visited 321 times, 1 visits today)