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Un Schmitt qui tient à Chœur

Eléve doué de la classe de Jules Massenet, prix de Rome en 1900 avec sa scène lyrique Sémiramis, est un immense compositeur, dont il faut avoir entendu l'Étude pour le Palais Hanté, d'après Edgar Poe. Il partage le triste privilège, avec une noria d'autres de ses illustres pairs, de ne point connaître les faveurs de salles de concert ! Rabaud, Cras, Pierné, Caplet, Magnard sont les éternels oubliés d'une liste loin d'être exhaustive hélas. Heureusement, Calliope fait preuve de courage par cet acte de culture et de réhabilitation, vibrant hommage à la Musique Chorale française.

L'esthétique de ce coloriste atypique, indépendant, marginal au sens noble du terme est inclassable. Elle rappelle les fulgurantes innovations (dans le détail architectural) de Roussel ; et l'on se souvient du disque admirable chez EMI proposant, et de celui-ci le Psaume LXXX, et son corollaire évident : le Psaume XLVII, foudroyante fresque symphonique pour chœur, orgue et soliste (excellente Andrea Guiot).

C'est dire l'extrême originalité de cette intégrale de la Musique pour voix de Femmes. Il présente en effet un aspect de Schmitt inattendu. Alliant faconde, délicieuse gouaille et truculente rouerie quasi rabelaisienne, une ironie tendre y sous-tend un roboratif « roman comique » qui s'appuie sur des textes légers, empreints d'une désinvolture poétique au ton « Cadet-Roussélien ». Par ailleurs, Les canards libéraux, L'orphelin, La mort du rossignol, divines fantaisies animalières, instaurent un climat pastoral de miniatures agrestes, mêlees de comptines populaires. Tout cela débouche sur un savoureux bestiaire musical. Ici, règne la plus exubérante rigueur stylistique ; et lorsque le piano dégingandé de Marie-Cécile Milan à l'humour ravageur intervient, c'est pour mieux souligner la vis burlesca. Spontanéité et fraîcheur du propos (d'autant que certains textes proviennent de Paul Fort, de Maurice Carême – et même de Cocteau – tous d'une haute tenue littéraire).

Coup de génie de Schmitt, une certaine gravité teintée de douce nostalgie, une atmosphère évanescente d'élégie nocturne affleure à l'orée d'une tournure mélodique. Un exemple parmi tant d'autres : Si la lune rose (plage 3) est très proche dans son esprit de la cantate profane Figure Humaine de Poulenc, pour double chœur mixte a capella ; voire de La Sulamite de Chabrier. Ou encore, les irrésistibles Chansons Bourguignonnes de Maurice Emmanuel, autre astre solitaire rejetant à l'instar de Schmitt tout rattachement scolastique.

Sans la briser brutalement, le musicien subvertit avec brio et brillance la tonalité, si bien qu'une oreille non avertie pourrait se faire accroire qu'elle écoute – l'ombre d'un instant – du … Varèse (celui du Grand Sommeil Noir) ! Le visionnaire opus 81 est écrit en 1933. Le disque tout entier s'apparente à un catalogue loufoque de pièces pétillantes, fleurtant avec des rythmes échevelés alla jazz ; et mâtinées d'inflexions fauréennes (mais un Fauré qui se serait fait coquin).

En fait, Schmitt expérimente les possibilités sonores et les ressources expressives de la voix. L'extatique Chœur de Femmes Calliope répond aux multiples sollicitations qu'appelle cette inédite spatialisation des timbres, voulue par ce paysagiste hors norme. L'amoureux indéfectible de musique française ne pourra que succomber à la tentation, et aura devant ce CD un regard chargé de désir, comparable à celui de Narraboth envers la fascinante Salomé !

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