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Onéguine et Tatiana

Second avatar des échanges de la saison 2002-2003 entre les Théâtres du Châtelet à Paris et Mraviinski à Saint-Pétersbourg, ce dernier proposait sur la scène parisienne une nouvelle production d'Eugène Onéguine étrennée en août dernier en Russie, qui accueillera bientôt à son tour celle du Démon donnée en alternance au Châtelet.

Réalisé par et , ce spectacle souligne les mérites d'un théâtre de troupe. Car il résulte d'un travail de longue haleine qui a permis à nos duettistes de réussir la gageure d'une vraie direction d'acteur à un Opéra pourtant réputé réfractaire au théâtre, remarquablement servie par la cohésion totale entre solistes, chœur et orchestre qui, de plus, chantent dans leur jardin, possédant si bien idiome et partition qu'ils peuvent répondre sans entraves aux exigences de la mise en scène. En outre, côté vocal, la continuité de la tradition de l'école russe du chant semble assurée, les aînés, toujours en voix, passant le relais à de jeunes artistes que le Mariinski, sous l'impulsion de Valeri Gergiev semble attirer à foison, ce qui donne à l'équipe homogénéité de style et justesse de ton. Le bonheur musical est donc ici total, grâce à la direction exaltée de Gergiev, qui, tel un magicien, porte fosse et plateau à la fusion, animant les chanteurs comme un montreur de marionnettes, et avive un orchestre exalté, aux basses grondantes et aux bois doués de vie réelle, tout en respectant les tournures classiques et la fluidité de l'écriture de Tchaïkovski.

Il reste pourtant à l'issue de ce spectacle un arrière-goût d'inaccompli, sensation due à une mise en scène qui, se mouvant au sein d'une scénographie faite de panneaux crème et de troncs de bouleaux délimitant bien l'espace scénique, va trop souvent à l'encontre du remarquable livret que le compositeur a tiré de l'œuvre éponyme de Pouchkine. Non pas côté direction d'acteur qui, nous l'avons vu, est excellente, engendrant un début d'opéra à la fois vif et intériorisé qui conduit la discrète Tatiana dans une scène de la lettre bouleversante de jeunesse et de vérité, mais au contresens, qui trouve son summum dans la scène finale. Celle-ci se déroule en effet non pas dans les salons du Prince Grémine, où Onéguine est originellement pris au piège de l'amour, mais dans un champ de neige où Tatiana prend le risque de se rendre pour retrouver son amour d'enfance, risque inconcevable considérant sa condition, pour rejeter Onéguine, qui reste seul dans un désert de glace. Autre caractéristique de cette production, mais qui cette fois en fait tout le charme, les chanteurs ont l'âge précis de leur rôle, atout particulièrement remarquable dans la fine silhouette de la Tatiana d'Irina Mataeva, voix gorgée de sève et au timbre de lumière. Vladimir Moroz campe un Onéguine légèrement en retrait, mais Daniil Shtoda est un Lenski bouillonnant à la voix sûre. La basse Mikhaïl Kit impose un Grémine de grand style, tout comme l'Olga d'Ekaterina Sementchouk, alors que , qui abordait le rôle de Triquet, s'est situé d'emblée dans la tradition des ténors bouffe dont le dernier avatar vivant est .

Crédit photographique : © Marie-Noelle Robert

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