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Erotisme mystique

Le traditionnel week-end de concerts gratuits de Radio-France était consacré ce mois-ci aux « Figures érotiques ». Ainsi avons-nous pu poursuivre notre parcours initiatique de curiosités toutes aussi réjouissantes que diverses avec, notamment, la Carmen-suite de Rodion Chédrine et deux opéras en version concert, Sancta Susanna de et Le Rêve d'Alfred Bruneau (voir pour ce dernier ouvrage l'article de Maxime Kaprielan).

Le compositeur russe Rodion Chédrine (1932) est également un pianiste suffisamment brillant pour avoir enregistré ses trois Concertos pour piano, œuvres particulièrement exigeantes. Les quarante minutes de sa Carmen-suite s'ajoutent à la longue liste de paraphrases, fantaisies et autres suites orchestrales tirées de l'opéra de Georges Bizet. La version du compositeur russe, conçue en 1967 en vue d'un ballet pour orchestre à cordes et percussion fournie, a un tour plus sirupeux et poétique que virtuose. Bien qu'ouvrant ces « Figures érotiques », cette vision de Carmen n'a pas la substance sulfureuse du modèle. Il faut hélas constater que nous sommes ici proches du rayon bibliothèque rose et roman-photo. Preuve en est l'introduction aux cloches tubes qui évoque davantage une ambiance de Noël que celle d'un harem. Nous nous sommes d'ailleurs étonnés qu'André Rieu, adepte des sucres d'orge non orgiaques n'ait pas encore intégré à son répertoire des extraits de cette Carmen-suite. Mais il en est peut-être mieux ainsi pour Chédrine. Nous nous sommes néanmoins amusés à retrouver la fameuse Habanera jouée au xylophone, et nous n'avons pas fait la fine bouche devant tant de bonbons et de sucettes acidulées.

Radio France nous a offert l'opportunité au cours de ce même concert de continuer notre exploration en Terra Incognita avec l'opéra en un acte Sancta Susanna de (1895-1963). L'on peut certes s'étonner de voir un ouvrage doté d'un tel titre intégré à une thématique vouée à l'érotisme. Mais le livret ne prête pas à la confusion, puisque sainte Suzanne y « dé-transfigure » son amour mystique pour le Christ en amour charnel. L'on comprend alors que l'aspect provocateur de cet opéra ait incité les autorités nazies à retirer l'œuvre de l'affiche dès sa création en 1934, puis que son auteur ait préféré la délaisser jusqu'à sa mort. Dépourvu de mise en scène pour cette représentation (alors que l'Opéra de Montpellier venait d'en proposer quelques jours plus tôt une version scénique), cet ouvrage perd dans ces conditions une large part de son audace. Reste néanmoins la musique, que l'on peut ainsi goûter par elle-même. Assez brève (vingt-cinq minutes) et d'un seul tenant, la partition est construite tel un vaste crescendo qui, de l'atmosphère diaphane et expressionniste du début, conduit à un paroxysme orchestral où même l'excellente soprano Mélanie Diener éprouva quelque difficulté à imposer sa voix. Mais, à l'exemple du personnage qu'elle campait, elle a eu l'excuse d'être souffrante. Une musique saisissante et troublante du jeune Hindemith, assurément plus séduisant et généreux ici que dans ses œuvres plus distanciées de la maturité.

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