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Le « Don Quichotte » de Manuel de Falla

Opéra de chambre inspiré du chapitre XXVI du second livre de Don Quichotte de Cervantès Les Tréteaux de Maître Pierre de est une œuvre remarquable trop rarement représentée en France.

« Si elle est si peu donnée, c'est en raison de son format inhabituel, notamment sa durée, regrette , qui vient de la diriger à Evreux et à Rouen. L'on tient pourtant ici du Falla le plus beau et original, tirant admirablement parti de Debussy et de Ravel. » Deux productions de ce même ouvrage sont soudain proposées en l'espace de trois mois, puisque le prochain Festival d'Aix-en-Provence a programmé ce chef-d'œuvre sous la direction de Pierre Boulez et dans la mise en scène par Klaus Michael Gruber. Mais, si ce dernier spectacle doit être accompagné de pages de Schönberg et de Stravinsky, l'Opéra de Rouen, en association avec la Scène nationale d'Evreux qui célébrait pour l'occasion son centenaire, a opté pour un spectacle original entièrement voué à la musique de Falla.

C'est en fait sous l'impulsion de , artiste en résidence à l'Opéra de Rouen avec son Chœur qui dirige régulièrement l'Orchestre Léonard de Vinci, que les deux théâtres normands ont réuni l'essentiel de la partition de L'Amour sorcier dans sa version originale pour petit effectif instrumental, et Les Tréteaux de Maître Pierre. Le tout lié par des citations des chapitres XXV et XXVII du grand œuvre de Cervantès constitue un spectacle centré sur le Chevalier à la triste figure et son écuyer. En conformité avec les indications du compositeur, les personnages principaux sont campés par des marionnettes de taille humaine activées par deux serveurs. Tous se retrouvent dans une auberge de la Manche. Maître Pierre y montre ses marionnettes à la clientèle. En son sein, Don Quichotte et Sancho Pença, alors qu'un autre client raconte qu'en imitant le braiment d'un âne que l'un d'eux avait perdu, deux régidors ont précipité leur village en enfer. C'est à ce moment précis qu'arrive Maître Pierre, qui, pour deux réaux, se propose, par la bouche de son singe devin, de livrer passé et présent à ceux qui le lui demandent. Ses tréteaux montés, il conte avec ses marionnettes l'histoire de Melisendra, fille de Charlemagne, enlevée par les Maures à son époux. Victime d'une nouvelle vision, Don Quichotte prend les marionnettes miniatures pour des personnages réels et se jette au secours des amants, saccageant le petit théâtre de Maître Pierre. Alors qu'il s'apprête à le dédommager, et tandis que les villageois se battent entre eux, il découvre que le montreur de marionnettes est en fait un bonimenteur.

La production proposée par Laurence et Jacques Falguières, directeur de la Scène nationale Evreux Louviers, est d'une exquise limpidité, se concentrant sur l'atmosphère et la dimension visuelle du sujet. La mise en scène discrète mais efficace, la beauté des marionnettes de Jean-Pierre Lescot, les plus petites s'exprimant dans un théâtre à leur mesure copie conforme de celui d'Evreux, servent délicieusement ce projet, et c'est à peine si l'on remarque la présence trop insistante du récitant, ici le comédien Olivier Saladin qui s'exprimait en français. Cette présence insistante déséquilibre le rapport théâtre/musique. L'on prend néanmoins plaisir à cette histoire à laquelle les musiciens sont étroitement impliqués, cuivres et percussions étant intégrés au décor. Les trois chansons de L'Amour sorcier inspirées à Falla par une chanteuse flamenca ont été remarquablement interprétées par Alessandra Lupidi, au timbre idoine mais à la vocalité incertaine, ce qui a pour avantage d'accentuer l'immédiateté de sa prestation. Le baryton-basse (Don Quichotte) et le ténor Jean-Yves Ravoux (Maître Pierre) ont imposé leur musicalité et leur abnégation, alors que la soprano Kaoli Isshiki s'est montrée solide et enjouée dans le double rôle du Truchement et de l'Enfant. a dirigé le tout avec précision tout en exaltant la poésie, la beauté grave de la musique, son irrésistible vivacité et la délicatesse de son instrumentation. L'Orchestre Léonard de Vinci s'avère en constant progrès, avec entre autres, son violon solo et sa première trompette avec sourdine. Reste à espérer que ce délicieux spectacle soit rapidement accueilli dans divers théâtres.

Crédit photographique : Guillaume Blot (2003)

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