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Friedmann Layer dirige Mozart, les Noces ou l’aristocratie du cœur

Créées le 1er Mai 1786 au Burgtheater de Vienne, Les Noces de Figaro appartiennent à l'une des époques les plus radieuses de la vie musicale de Mozart. Dans le même temps, deux concertos pour piano (KV. 488 et KV. 491) et de nombreuses pièces de musique de chambre manifestent cet épanouissement lumineux que connaît l'écriture du musicien autrichien tout à la joie de composer.

A l'automne 1785, Mozart rencontre Lorenzo Da Ponte, son nouveau librettiste dont il pressent la collaboration fructueuse. Ils choisissent ensemble une pièce d'actualité, La folle journée ou Le mariage de Figaro de Beaumarchais dont les résonances sociales et politiques ne pouvaient qu'alerter la conscience de l'empereur Joseph II. Mais l'habile Da Ponte saura déjouer la censure impériale en extirpant de la pièce du satiriste français tout son venin politique, sans en altérer l'esprit revendicateur. Sans doute souffle-t-il un vent de révolte dans la cavatine de Figaro du premier acte, révolte contre l'abus d'autorité d'un « petit comte » qui pourrait bien perdre sa superbe ; il sera d'ailleurs, tout au long de l'intrigue, le moins dominateur du jeu. Mais, ce que défend Mozart va au-delà de l'inégalité sociale puisque, pour lui, la vraie noblesse est celle du cœur qui ignore les barrières de classe. Dans Les Noces de Figaro, tous les personnages, sauf Antonio et Curzio, sont amoureux et c'est cette force humaine et puissante qui mène l'action, cœur battant. Rappelons qu'il s'agit d'un opera buffa – ou comedia per musica tel que l'ouvrage est rebaptisé lors de la création – et qu'humour et fantaisie sans cesse rebondissent avec une légèreté de touche et une verve incomparable.

Le défi est relevé, Montpellier par l'Opéra Comédie, malgré une chaleur accablante et préjudiciable aux artistes comme au public. Conjuguant leur talent dans cette nouvelle production des Noces, et Wolfgang Zoubek optent pour une mise en scène sobre, voire dépouillée, privilégiant un espace clair et une couleur dominante pour chaque changement de plateau. Dans le premier acte, conçu tout en blanc, un pont coupe l'espace favorisant la libre circulation des personnages. Le rouge est pour l'acte II, celui de la Comtesse, tout à ses états d'âme et à ses peines de cœur. Dans l'acte III, le Comte accueille ses subordonnés dans une salle de réception officielle nimbée de jaune. Le décor en vert du quatrième acte stylise non sans raideur les sombres bosquets propices à la méprise. Et l'on peut se demander pourquoi, lors du précipité du premier acte, le jardinier Antonio, chargé de ses pots de fleurs, vient rompre le rythme de ce bel enchaînement polychrome, provoquant un temps mort plutôt maladroit. Surprenant également, au côté des costumes d'époque, ce choix délibéré du metteur en scène pour « un langage gestuel contemporain » – les postures très décontractées de la Comtesse sur son lit par exemple – qui fera parfois regretter l'élégance et le raffinement du XVIIIe siècle.

A la tête de son orchestre et dans un répertoire qui lui est familier (rappelons qu'il est autrichien), obtient, dès l'ouverture, du National de Montpellier l'éclat pétillant des timbres et la transparence de l'écriture. L'équilibre sonore avec le plateau tarde cependant à s'instaurer dans le premier acte où les voix semblent absorbées par les résonances instrumentales : serait-ce le fait d'avoir relevé la fosse en raison d'un effectif plus réduit ?… On attendait de la part d'Anne-Lise Sollied une Suzanne plus vive et malicieuse pour mener son monde avec le brio et la spiritualité du personnage. Son duo avec Marcelline/ manque de piquant. Quelques déceptions également du côté du Figaro de dont la voix ne trouve pas, dans la cavatine du premier acte, l'aisance et le ton déterminé qui fait rugir le valet tout à sa colère. Heureusement, le timbre altier et chaud de s'avère idéal pour camper le personnage versatile du Comte à la fois grand seigneur et grand enfant, sachant retrouver, in fine, des accents de sincérité presque touchants. est une merveilleuse Comtesse, commençant le deuxième acte par le célèbre porgi amor – redoutable pour la chanteuse – avec l'élan douloureux et la retenue de cette âme noble et souffrante. Il manquait peut-être à cette voix jeune, souple et superbement colorée – presque une Suzanne – un peu de rondeur et de profondeur pour accuser la légère différence d'âge. Le Chérubin de Stéphanie d'Oustrac emporte, quant à lui, tous les suffrages. Visiblement encombré de son corps (sa stature est imposante), il embarrasse les autres, s'interpose, gêne jusqu'à devenir le centre de tous les regards. N'est-il pas l'Amour à lui seul, le désir à l'état pur, le miroir en somme de tous les personnages. Il émeut aux larmes dans le « non so piu » et comble musicalement. Le timbre un rien « vert » de la voix colle bien au caractère de cet adolescent désordonné et papillonnant… au point de faire oublier la Barberine de Céline Ricci dont la tendre plainte du quatrième acte chantée avec la simplicité qui convient, n'est sans doute que l'appel innocent d'un cœur prêt à battre la chamade.

Chefs d'œuvre d'invention scénique, les ensembles constituent un sommet dans l'art du dramaturge musicien. Autour de Marcelline, Don Basilio, Don Curzio et Bartolo (successivement, Christopher Gillet, et ) sont irrésistibles dans la scène de reconnaissance du troisième acte où les personnages se passent le même mot comme une balle. L'étourdissante enfilade du final du deuxième acte avec ses rebondissements comiques – coup de chapeau au jardinier/Enrice Fissore – sollicite une fine complicité entre la fosse et le plateau, fruit de l'efficace travail d'équipe mené par , qui conduit cette « folle journée » avec la vitalité explosive qu'exige ce merveilleux chef-d'œuvre.

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