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Edgar, sur les traces de Puccini

Depuis plusieurs saisons, Radio France produit et enregistre des concerts consacrés à des œuvres peu connues du public mais d'un grand intérêt pour les mélomanes et professionnels de la musique.

Cette volonté très appréciable de faire perdurer par le disque « notre mémoire vivante » ne s'arrête pas là car en y intégrant des éléments d'archives, en collaboration avec l'Institut National des Archives (INA), Radio France se propose de nous plonger véritablement dans une autre et au combien passionnante « histoire de la musique ». Outre leur intérêt musical, les œuvres proposées, années après années s'inscrivent individuellement dans l'histoire comme des maillons indispensables tel Edgar, opéra de auquel le public parisien a pu assister le 7 décembre 2002 Salle Olivier Messiaen de Radio France. Avec cette édition discographique réalisée cette année en collaboration avec l' et le label Naïve, Radio France permet de plonger dans l'univers du compositeur italien en invitant à le suivre sur la route qui le mènera à la gloire.

Après le succès des Villi, son premier opéra, que Radio France et Naïve viennent également de publier, Puccini espérait avec Edgar emboîter le pas de Verdi qui avait réussi à placer son deuxième opéra, Un Giorno di regno, à la Scala de Milan après le triomphe d'Oberto. Mais le public n'est pas au rendez-vous du cadet et boude la version en quatre actes créée dans le célèbre théâtre milanais le 21 avril 1889. Edgar obtient cependant un succès d'estime de la part des critiques qui admirent les progrès techniques de son auteur. Il a pourtant fallu cinq ans au compositeur italien pour parachever son ouvrage. Plusieurs raisons expliquent cette réalisation tardive. Tout d'abord, sa vie privée avec la mort de sa mère en 1884 puis sa fuite avec Elmira Gemignani, femme d'un ancien camarade de classe, qui provoque le rejet de sa famille. Professionnelle ensuite, puisque Puccini doit à tout prix confirmer le succès de son premier opéra. Mais cela n'explique pas tout, et si l'œuvre n'est pas acclamée c'est en grande partie à cause de l'intrigue et de ses rebondissements inhabituels, voire choquants pour le public. La tension est omniprésente, jamais le de Ferdinando Fontana ne laisse la moindre place à une détente salvatrice et pour la cohérence de l'ensemble. On se demande par exemple pourquoi Edgar met le feu à sa propre maison et se lance dans une vie de débauche dès le début du deuxième acte. La fin de l'opéra est marquée par la mort de Fidelia, qui est purement et simplement assassinée de façon totalement imprévisible et sous les yeux d'un public médusé. Après cette expérience malheureuse, dans les créations futures de Puccini, comme La Bohème, Tosca ou Madame Butterfly, les héroïnes mourront après que le public aura été lentement préparé à l'issue fatale.

Si l'on peut faire reposer le poids du demi-échec sur le livret, sa relative complexité oblige cependant Puccini à ruser pour en faire ressortir les éléments les plus intéressants et surtout lui donner du liant. Edgar devient alors pour Puccini un creuset où ses talents de compositeur vont trouver leur source véritable dans laquelle son langage musical va considérablement s'enrichir. Dans l'utilisation des chœurs, par exemple, qui gagnent en mobilité en étant intégrés à l'action. Ce procédé permet au compositeur de tenir l'auditeur dans un souffle mélodique où tension et effusion sont maintenues par un discours sans cesse renouvelé. L'usage du Leitmotiv autorisant la répétition d'un pour évoquer un retour dans le passé, permet de donner une unité au développement de l'histoire et de faciliter sa compréhension.

C'est le propre des grands artistes d'arriver à magnifier une œuvre, de lui donner vie et de la transmettre à la postérité. Même si était attendue avec impatience à Paris après avoir manqué son rendez-vous du mois de mai 2001 au Théâtre des Champs-Elysées en interprétant d'une manière peu inspirée le rôle de Sieglinde dans La Walkyrie de Wagner, elle est cette fois, au contraire, pleinement investie dans le rôle de Fidelia. La fascine encore et toujours, et sait donner à l'œuvre tout son sens dramatique en usant de ses qualités : la dynamique, le sens du rythme, le timbre fin et précis brille de mille éclats. Dans le rôle d'Edgar, Carl Tanner lui donne une réplique à la hauteur de sa renommée internationale. Le est aussi précis, la voix est bien placée, même si un timbre légèrement mat ne lui permet pas d'éclater suffisamment. Mais le discours est juste et très bien rythmé, ce qui lui permet de rester crédible. L' aux cuivres éclatants est dirigé par un Yœl Levi particulièrement inspiré qu'une certaine lenteur dans le rythme aide à mettre magistralement en relief les accents dramatiques de la partition tout en préservant la cohésion de l'ensemble. Les chœurs, chatoyants et colorés, portent les solistes d'un bout à l'autre. L'ensemble est absolument fantastique et l'on est tenu en haleine d'un bout à l'autre de l'œuvre. Signalons en outre la très bonne qualité de l'enregistrement où tous les bruits de salle parasites ont été supprimés. La balance entre orchestre, chœur et solistes est très équilibrée. Aucun souffle ne vient perturber l'audition. La notice comprend un livret trilingue (Italien, Français et Anglais) ainsi que les biographies des artistes et une analyse très intéressante de l'œuvre signée Hélène Cao.

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