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Tugan Sokhiev, le feu sous la glace

Ce concert était l'occasion de faire la connaissance du jeune chef , élève du fameux pédagogue Ilya Musin puis de Yuri Temirkanov, actuel directeur musical de l'Opéra du Pays de Galles, chef principal de l'orchestre symphonique de Russie et directeur artistique de l'orchestre philharmonique de l'Ossétie du Nord (il est né à Vladikavkaz, capitale de cette petite république du Caucase).

Dès l'ouverture de La Grande Pâque russe impressionne par une battue extrêmement nette et sobre, d'une parfaite précision, par son contrôle total des plans sonores et des nuances, à tel point que naît une certaine fascination de le voir déclencher de si violentes bourrasques par des mouvements si ténus. Mais cette maîtrise de chaque instant du geste musical ne bride à aucun moment le feu de l'interprétation, car la précision des crescendo et le choix de nuances extrêmes donnent à la musique un impact physique et un élan irrésistibles, sans que jamais cette puissance n'apparaisse débraillée ou simplement trop ostentatoire. Le chef russe apporte à cette œuvre colorée, qui pourrait si facilement tomber dans la facilité ou l'exotisme de bazar, un tranchant à couper le souffle témoignant d'une science orchestrale hors-pair.

Dans le Concerto pour violon de Tchaïkovsky, le choix de tempos modérés permet à Victor Tretyakov de déployer son chant ample et légèrement rauque, au parfum voilé d'aristocratie. On sent dans cette lecture large et amoureuse du détail une compréhension intime et une longue pratique de l'œuvre, un refus de l'effet brillant au profit d'une vision intériorisée. Cette réserve, mais réserve n'est en rien synonyme de froideur, culmine dans une Canzonetta pleine d'émotion retenue et dans un finale qui évite toute démonstration. Non, d'ailleurs, que ce violoniste n'ait les moyens techniques d'une effet facile -au contraire même, l'intonation et la virtuosité sont d'une limpidité remarquable- mais l'on sent chez lui la volonté d'éviter tout ce que l'œuvre pourrait avoir de sentimentalité facile ou de brillance tapageuse. Les éclats millimétrés de l'orchestre apportent une touche de couleurs franches qui accompagnent parfaitement cette rectitude expressive.

On pourrait décerner au Prokofiev les mêmes louanges qu'à Rimsky-Korsakov, le chef y faisant preuve des mêmes qualités. On ajoutera seulement qu'il fait montre ici d'un parfait sens chorégraphique dans l'enchaînement de tempos parfaits, et qu'une touche d'humour vient tempérer tant de rigueur. Cette précision du détail, la parfaite clarté des plans, le soin dans l'équilibre des pupitres finissent même par engendrer une sorte de sensualité sonore, détachant des cordes soyeuses ou la pureté adamantine de la flûte.

Un quasi-inconnu a ainsi démontré, dans ce concert proche de la perfection, une autorité et une maîtrise technique qui semblent échapper à nombre de chefs nettement plus réputés. On espère le revoir très bientôt à Toulouse -comme ailleurs- et l'on ne peut que conseiller d'attendre la rediffusion du concert sur l'antenne de Radio Classique.

Ah oui, dernier point important, a tout juste… 26 ans!

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