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Haendel et le Concerto Italiano au Festival International d’Opéra baroque

La famille Borée, sur scène lors des récentes Boréades de Lyon ou dans le ciel et « pour-de-vrai » sur le festival de Beaune, agite décidément volontiers le monde baroque. Orage, ô désespoir !

Le festivalier qui s'apprêtait à passer un bon moment dans l'exceptionnel et fastueux décor de la cour des Hospices, ce vendredi soir, 17 juillet, aura dû faire contre mauvaise fortune beau chœur : celui de la Basilique Notre-Dame voisine… . Mais que ce contretemps ne gâche pas son plaisir ; tous les ingrédients du succès sont bien là, intacts et de grande qualité : un et son chef, en grande forme et un quatuor vocal (exclusivement féminin) de haute volée, dont nous reparlerons.

Cet Amadigi de Haendel (1715) trouve son origine dans le roman espagnol (publié au XVe siècle) de Garcia Rodriguez de Montalvo, sous le titre d'Amadis de Gaule ; seul roman qui trouve grâce aux yeux du héros de Cervantes, lequel voyait en Amadis, surnommé le « beau ténébreux », son modèle de chevalier errant. Quant au livret de Nicola Francesco Haym, également librettiste du Giulio Cesare et de, entre autres, Tamerlano, il serait inspiré de deux tragédies lyriques françaises : l'Amadis des Gaules de Lully (et Quinault) — en 1673 — et Amadis de Grèce de Houdar de la Motte (musique d', en 1699).

Le héros, Amadigi, vit avec la princesse Oriane un amour partagé. Mais cette double inclination est fort mal vue par deux jaloux qui entendent bien contrarier cette idylle : la magicienne Melissa, elle-même éprise d'Amadigi, et le prince de Thrace Dardanus (Dardano), amoureux éconduit d'Oriane. Avant que les amants ne puissent s'abandonner à la félicité d'un amour sans nuages au son d'une pastorale (qui, pour un peu, évoquerait Rameau), ils traversent une série d'épreuves auxquelles démons et furies ne sont pas étrangers et dont, naturellement, ils triompheront. Autant d'épreuves alternant emportements, élans passionnés, tourments et attendrissements du cœur que, musicalement, Haendel traduit par une foisonnante variété d'Arie d'une remarquable richesse mélodique et qui portent bien la marque de l'Anglo-Italo-Saxon. En cela sont exemplaires, par exemple, l'air de Dardanus (Acte II, scène 5) « Pena tiranna Io sento al core » (je sens dedans mon cœur d'inexorables peines) sur le rythme caractéristique de sarabande qui rappelle d'évidence le « lascia ch'io pianga » d'Almirena dans Rinaldo, ou celui de Melissa (scène 10 qui achève l'acte II) :« Destero dall' empia Dite ogni furia, a farvi guerra » (j'armerai contre ces traîtres toutes les furies pour leur faire la guerre), dont l'accompagnement instrumental (et particulièrement le splendide duo Trompette/hautbois) préfigure déjà le water music de 1717. Le , dans son ensemble, archets incisifs et rigoureux, vents de véloce souplesse et de cette « verte rondeur » propre aux instruments anciens, subjugue par sa cohésion, sa ductilité, sa « sauvage » beauté de timbres. Le Continuo (clavecin, théorbe , violoncelle) est somptueux de coloris. Alessandrini conduit son monde d'une baguette précise, sans rigidité aucune, l'œil et l'oreille attentifs, le texte au bord des lèvres, le geste toujours prévenant, anticipant.

Du côté vocal, la distribution fait appel à quatre éléments parmi les plus représentatifs du chant italien d'aujourd'hui, et dont nous trouvons les noms dans trois des spectacles donnés ici, au cours de ce vingt-deuxième festival. Dans le rôle-titre, l'alto , dont chaque prestation (disque et concert) tire aujourd'hui du public et de la critique applaudissements nourris et laudatives appréciations. Ce n'est que justice pour cette artiste totalement investie dans un rôle : voix ample et pleine, au timbre chaud sur toute la hauteur du registre. Elle sait trouver de « mâles » accents (là où bien des altos masculins peineraient vainement) et qui rendent presque superfétatoire le costume (pantalon noir et « Top » gris acier) censé masculiniser son personnage… . A son crédit encore : une articulation parfaite, une clarté et un art consommé de la vocalise et de l'ornementation baroque. Autre élément de choix : la soprano (Oriane), dont la justesse d'intonation, les ports de voix d'un naturel confondant, le pouvoir émotionnel de timbre peu commun forcent l'admiration. En face d'elles, leurs partenaires : Eleonora Contucci, soprano (Melissa) et Lucia Cirillo, mezzo (Dardano et Orgando) paraissent quelque peu « en retrait », manquant d'« épaisseur » et d'investissement. Les voix sont belles, mais comme sous-employées, comme si, face à Prina et Invernizzi jouant la carte de l'engagement « physique », quasi scénique, elles affichaient la volonté de ne pas quitter les limites bien définies de la « version de concert » ou de l'enregistrement studio. C'est là le seul — et relatif — bémol de ce spectacle, de bout en bout plaisant et qui, l'invention mélodique du compositeur et le talent des interprètes aidant, à aucun moment ne distille l'ennui ; et ce, en dépit même de l'absence totale de chœurs dans cette partition où, de surcroît, hormis le quatuor vocal de la Pastorale dansante finale, les Ensembles sont réduits à quelques rares — mais superbes — duos.

Le public de Beaune ne s'y trompe pas, qui réserve aux éblouissants artisans de ce concert-spectacle une ovation méritée. Cet Amadigi constituait la première de trois soirées consacrées à Haendel, avant Hercules donné par W. Christie et Les Arts Florissants, de retour d'Aix-en-Provence, le 23 juillet prochain, et l'oratorio profane Il Trionfo del Tempo e del Disignano (Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre-Grenoble) qui clôturera cette XXIIe édition du festival beaunois, le 1er Août.

Crédit photographique : © F. Nobile

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