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Symphonische Gesänge de Zemlinsky : Mort de la petite fille basanée

Figures de Maestro

Comme l'explique René Kœring en nos colonnes, « Figures » est le rendez-vous (gratuit) de Radio-France avec les mélomanes curieux de découvrir des répertoires rares et stimulants. Les « Figures de maestro » qui ouvrent la saison s'attachent aux artistes qui ont assumé la double fonction de compositeur et de chef d'orchestre, qu'ils soient d'abord célébrés comme chef d'orchestre, tel Furtwängler, ou comme compositeur, tels Smetana, Zemlinski, Hindemith. Mais le véritable fil d'Ariane du programme se révéla être celui d'œuvres et de destins marqués, parfois jusqu'à la mort, par la défense et l'amour des esthétiques « nationales ».

La première partie du concert nous donna à entendre deux de ces musiques dans leur innocence. Ainsi de l'Ouverture d'un de 13 ans qui écrit là sa première œuvre orchestrale, aux accents champêtres, où l'instrumentation ne brille pas, comme pour mieux chanter la belle Allemagne rêveuse et amoureuse de Brahms. Ainsi également du Quatuor à cordes n°1 de Smetana, œuvre autobiographique passionnée où le compositeur tchèque traduit aussi sa joie d'ouvrir la voie à une musique tchèque libérée de l'influence de la (certes, sublime) musique viennoise. L'arrangement pour orchestre à cordes réalisé par et vigoureusement défendu par lui-même à la baguette est particulièrement plaisant dans les passages les plus brillants de la partition (polka du 2ème mouvement, début du mouvement final), mais l'enflure guette dans les moments de confidence élégiaques ou sentimentaux, pour lesquels il n'est probablement pas nécessaire de recourir à une cinquantaine de musiciens.

La seconde partie du concert nous amène à d'autres musiques « nationales », allemande mais aussi américaine, à l'histoire plus complexe et douloureuse. La Symphonie « Mathis der Maler » (1934) en est un exemple historique de première importance. Orchestrée de main de maître, brillante, somme toute accessible, l'œuvre est visiblement l'héritage direct d'un riche passé musical germanique qu'elle entend perpétuer en le rénovant par plus de rythme, plus de verdeur. Bien que défendue bec et ongles par Furtwängler qui en assura la création avec le Philharmonique de Berlin, l'œuvre fut bannie par les nazis pour des motivations purement politiques (Hindemith dès 1933 était classé comme un artiste « bolchévique »), entraînant la démission de Furtwängler de ses fonctions officielles, et provoquant l'exil d'Hindemith en 1938. Le Philharmonique de Radio-France n'a manqué ni d'engagement ni de précision, néanmoins la Symphonie paraît d'une efficacité somme toute extérieure qui peine à susciter une adhésion enthousiaste.

Les Symphonische Gesänge de Zemlinski constituèrent au contraire le temps fort du concert. On y voit un compositeur allemand mettre en musique en 1929 sept poèmes afro-américains, signés de poètes noirs tels que Langston Hughes ou Countee Cullen. L'orchestration sait se faire chambriste, subtilement jazzie, cinglante ou pleine d'empathie, jamais mièvre pour ces textes désespérés et fiers. Toutes les victimes ne sont pas des saints (4. Mauvais Garçons), mais les sept poèmes sont comme autant de stations de souffrance. C'est le peuple noir de l'Amérique qui est mis en lumière ici, mais il s'agit d'une souffrance universelle qui parle à tous, et qui frappera jusqu'à Zemlinsky lui-même qui mourra en exil et dans la misère aux Etats-Unis en 1942. La « Mort de la petite fille basanée « est la 3ème mélodie d'après le Countee Cullen. On ne sait de quoi elle est morte, de dénuement ou de la violence des adultes (« La petite fille basanée a dû mourir. // La mort l'a ravie, l'a ravie. / Deux roses sur son sein, / des cierges blancs à sa tête et à ses pieds. // Ta mère a engagé son anneau / pour t'habiller, si blanche, si belle. / Que de chants et de danses, // si tu avais pu te voir », traduction Christine Gaurier), mais on sait que cette petite fille meurt toujours aujourd'hui. Pour dire le désastre individuel et collectif d'un peuple, le baryton Martin Gantner tout au long des sept Gesänge est témoignage douloureux mais digne, il est dénonciation intense, mais sans jamais céder à l'imprécation ni à l'émotionnel. Une leçon de chant certainement, et surtout peut-être une idée du chemin à emprunter pour affronter l'actualité.

Crédit photographique : (c) DR

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