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L’art de toucher la basse de viole

On connaît mal la vie de Monsieur de (pas même son prénom) malgré le très beau roman de Pascal Quignard Tous les matins du monde adapté à l'écran par le cinéaste Alain Corneau. Les récentes recherches du musicologue et gambiste américain semblent apporter un éclairage sensiblement différent du portrait campé par l'écrivain sans remettre en cause cependant l'existence de ses deux filles musiciennes et de son élève Marin Marais ainsi que l'invention d'une septième corde ajoutée à son instrument pour en enrichir les résonances graves.

Le manuscrit des 67 Concerts «à deux violes esgales» a été retrouvé en 1960 par Paul Hooreman et fait l'objet d'une intégrale discographique – en première mondiale – entreprise par les gambistes Susie Napper et Margaret Little. Le présent enregistrement concerne le volume II du manuscrit soit dix sept Concerts – de XIX à XXXV – conçus comme de courtes suites de trois à six pièces comprenant toutes une ouverture. Comme le fera Couperin, Sainte Colombe – ou son copiste – donne pour chaque Concert des titres suggérés par les allures du discours musical : la Bourrasque, à cause des grands traits rapides qui le traversent, le Villageois, parce qu'il commence comme un chant de berger, Le Pensif… Sainte Colombe s'éloigne sensiblement du modèle de l'Ouverture à la française dans ses pièces inaugurales qui sont, en général, aussi longues que les trois ou quatre mouvements qui suivent. Emblématique du style versaillais, le rythme pointé y apporte cependant sa touche de solennité avant d'aborder l'esprit de la danse dans les Allemandes, Gavotte, Sarabandes et autres Gigues.

Comme deux violes jumelles, les basses de Susie Napper et de Margaret Little dialoguent en concert, s'imitent ou se répondent avec une parfaite complicité, entretenant cet «art de la conversation courtoise» tant prisée aux XVIIe et XVIIIe siècles. Remarquable également le soin de l'articulation qui donne à chaque miniature un relief et un élan propres : tel ce Menuet tendre du XXXVe Concert – ils sont assez rares chez le compositeur – qui trouve, sous les archets des deux gambistes, le mœlleux de la sonorité et une grâce toute singulière. L'ornementation à la française – cette façon stylisée «d'imiter tous les plus beaux agréments de la voix» comme il est précisé dans l'Art de toucher le dessus et la basse de viole de Danoville (1687) – atteint ici un sommet d'élégance et de raffinement avec un rien de préciosité qui sied «au bon goût» des Français. En témoigne la deuxième Sarabande gaye du concert (la) Bourrasque dont le flattement – trille au quart de ton – souligne délicieusement l'articulation médiane de la danse.

Un art de l'intimité donc – celui que pratiquait Monsieur de Sainte Colombe, seul dans «son petit cabinet de planches» – sobre et tout en nuance, réclamant une écoute attentive s'il on veut apprécier à sa juste mesure l'excellence d'une interprétation réglée dans les moindres détails. On peut juste regretter, sur le plan de l'enregistrement, les effets un peu systématiques d'une réverbération qui tend, à la longue, à gommer le spectre aigu des sonorités instrumentales.

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