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Leoš Janácek – Giacomo Puccini au Deutsche Oper

La grande nouveauté en ce début d'année pour les opéras de la ville réunifiée de Berlin, trois scènes lyriques officielles héritées du temps de la division de la ville et ayant depuis lors fonctionnées comme de véritables maisons d'opéra avec leur troupe, leur orchestre, leur chœur et leur administration propres, c'est la nomination du premier Directeur Général, poste créé pour gérer le défit qui consiste à garder les trois maisons en période de restrictions budgétaires intenses (elles devraient réduire le budget actuel de 150 millions de $ annuel à la moitié en 2009).

Une fondation a été créée (Stiffung Oper in Berlin) pour amener les trois maisons (Staatsoper Unter den Linden, Deutsche Oper et Komische Oper) sous un seul «toit financier» plutôt que d'être obligé d'en fermer une des trois. C'est le patron actuel de l'Opéra de Bâle (Suisse), Michael Schindhelm un physicien converti au théâtre, qui a été nommé à ce poste après que les allégations d'appartenance à la police secrète de la République Démocratique Allemande (Stasi) ont été levées par un comité spécial.

Le Deutsche Oper Berlin, l'ancien opéra de Berlin-Ouest, étant situé à Charlottenburg est désormais excentré par rapport aux nouveaux pôles d'intérêt touristique de la ville créés par la réunification. L'Opéra de Charlottenburg, dont il est la survivance, changea beaucoup de nom et de lieu au cours de l'histoire. Fondé dans la commune indépendante de Charlottenburg avec des capitaux privés réunis par une souscription d'abonnements il ouvrit le 7 novembre 1912 avec une représentation de «Fidelio». Il répondait à la nécessité qui s'était fait sentir à la fin du siècle de l'existence à côté de l'Opéra de Cour (Unter den Linden) d'une scène lyrique d'un niveau supérieur qui prendrait en considération les goûts de la population cultivée. Deux circonstances furent principalement favorables à sa création : le vœu généralement répandu d'un théâtre populaire et le fait que les œuvres de Richard Wagner tombaient peu à peu dans le domaine public. Pendant les quatre premières années de son existence, sous l'intendance de Georg Hartmann, il vit la création allemande de «La Fanciulla del West» en présence de Puccini en 1913, la première représentation officielle berlinoise de «Parsifal» en 1914 avec quatre jours d'avance sur l'Opéra de Cour. Concurrence difficile à soutenir après la Première Guerre mondiale et il fallut attendre le rattachement de Charlottenburg en 1920 à la ville unique qu'était Gross Berlin pour que, rebaptisé Städische Oper et placé sous la direction de Bruno Walter et Hans Tietjien, il vive une époque dorée pendant laquelle y chantèrent Lotte Lehmann, Lotte Schöne et Maria Yvogün, Karl Erb, et Lauritz Melchior dans un répertoire allant de Gluck à Kurt Weill et Richard Strauss. Déjà à l'époque, en 1929, fut tentée par Tietjien la réunification des trois maisons (la troisième étant le Kroll Oper de Klemperer, elle aussi nationale). La meilleure coordination entraîna cependant la disparition de l'émulation due à la concurrence qui, ajouté à la fuite de noms comme Carl Ebert et de grands interprètes à l'aube du Troisième Reich, mit fin à cet âge d'or. Sous le régime national-socialiste avec la création muselée et un répertoire contrôlé, réduit à Wagner et quelques œuvres et opérettes fétiches du Führer, la musique devint un bruit de fond et un instrument de propagande et le Städische Oper, redevenu Deutsches Opernhaus sous la coupe de Gœbbels, n'eut plus de spécificité par rapport au reste de l'Allemagne, il se contentait de donner le ton. Après 1945, le partage politique de la ville, provisoirement abrité par le Theater des Westens l'opéra de Charlottenburg repartit de zéro et se créa un nouveau répertoire axé sur les compositeurs du XXe siècle mais il fallut attendre 1961 pour qu'il fut reconstruit à la même place dans la Bismarckstrasse et rouvrit ses porte sous le nom, toujours actuel, de Deutsches Oper Berlin. Son répertoire s'agrandit pour montrer une volonté de contrer le dogmatisme soviétique de celui de Berlin-Est. C'est toujours ainsi qu'il se présente aujourd'hui, immense bloc de béton aux vastes et confortables dégagements avec sa salle de 1900 places. Il est resté entre 1981 et 2000 sous l'intendance de qui l'a élevé au niveau dramaturgique et esthétique en cours dans les grandes maisons d'opéras allemandes.

Aujourd'hui, seize ans après la chute du Mur, placé sous l'intendance de et la surintendance du compositeur Udo Zimmermann, on pourrait craindre qu'il sombre dans une routine de répertoire, étant toujours le plus grand des trois établissements et celui affichant le plus de spectacles. Au hasard de la programmation de ce théâtre, nous avons pu voir les deux premières matinées de l'année 2005 consacrées à deux compositeurs du vingtième siècle de styles aussi divers que LeoŠ Janácek et , deux spectacles d'excellente qualité tant scénique que musicale, mais d'une esthétique assez traditionnelle par rapport aux spectacles présentés pendant les Richard Strauss Festtage qui leur succèdent, si l'on peut en juger par les photographies affichées.

Véritablement magique, avec ses animaux à échelle humaine et ses humains si zoomorphes, ses costumes féeriques, sa chorégraphie sans excès et pleine de charme rehaussée par des éclairages virtuoses, La petite renarde rusée de Janácek dans sa version allemande de Peter Brenner et Max Brod (Das schlaue Füchslein) qui la rend plus proche du public, curieusement assez peu enfantin pour une matinée de premier de l'an, est un spectacle du répertoire signé en 2000. Berlin, qui a comme référence majeure la production de Walter Felsenstein au Komische Oper en 1956, peut s'enorgueillir de ce formidable spectacle. Tous les interprètes (une vingtaine de chanteurs et quelques danseurs) en sont excellents, même si c'est la Petite Renarde chantée par Leonie Lukas qui a le cœfficient de sympathie le plus élevé. La direction de Kevin McCutcheon est un peu superficielle, mais ce n'est pas le chef affiché pour les quatre représentations consécutives, un des inconvénients de ce système de répertoire.

Manon Lescaut de Puccini, qui est moins rare, contrairement en France, que sa rivale de Massenet sur les scènes allemandes, ouvrait les festivités du 300e anniversaire de la fondation de Charlottenburg par le Roi de Prusse Friedrich I en mémoire de sa femme Sophie Charlotte. Un opéra en costumes pour une circonstance historique, c'est du meilleur goût, surtout s'agissant d'une production qui respecte le style de l'œuvre, vertu devenue assez rare aujourd'hui particulièrement dans une ville qui se pose comme provocatrice en la matière. Si les décors de William Orlandi sont minimalistes pour évoquer un dix-huitième siècle dans sa splendeur décorative, ses costumes sont somptueux et stylés. a réglé une épure de cet opéra qui est lui-même une épure de l'œuvre de l'Abbé Prévost. Un véritable enchantement pour les yeux avec une équipe bien rodée. Seul regret, la Manon de la Roumaine n'a pas la versatilité pour convaincre, ne pouvant passer aussi vite d'un acte à l'autre dans la version tant concise de Puccini, à des états d'âme féminins si tranchés. Une projection insuffisante pour un si grand théâtre achève de disqualifier son personnage. Mais «Manon Lescaut» est un opéra de ténor et Marcelo Giordani avec son allure de «jeune Domingo» et sa voix belle, bien timbrée et puissante avec un véritable tempérament passionnel est bien en Des Grieux le héros d'une soirée qui comporte aussi la forte personnalité du Géronte de Carlos Krause. Autre point faible, l'orchestre (mais, en cette période de vacances, entend-t-on cet orchestre dans sa configuration habituelle ?) sans grande finesse malgré la direction dramatiquement efficace de . On le répète, le Deutsche Oper pratique le répertoire et l'alternance, affichant chaque soir durant onze mois un nombre considérable de programmes lyriques et chorégraphiques. Ce système, devenu rare aujourd'hui hors des pays de culture germanique a les inconvénients de ses avantages.

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