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Pouchkine au pays des Soviets

La Dame de Pique, dont le livret est tiré d'une courte nouvelle de Pouchkine, est généralement considérée à égalité avec Eugène Onéguine comme le chef-d'œuvre lyrique de Tchaïkovski, c'est donc avec impatience qu'on attendait la reprise au Théâtre Royal de la Monnaie d'une production fameuse de cette œuvre.

Celle-ci, créée au Welsh National Opera de Cardiff, récompensée en 2001 par une Barclays/TMA Award est donc arrivée sur la scène bruxelloise précédée d'une flatteuse réputation, réputation qui ne nous a pas semblé tout à fait justifiée au vu de cette représentation, alors que la partie musicale de l'ensemble a pourtant bénéficié de beaucoup d'attention, réunissant une distribution de très haute volée et un vrai chef de théâtre, qui manifeste une compréhension du style de Tchaïkovski tout à fait remarquable.

Si la mise en scène avait été du même niveau que cette partie musicale une soirée lyrique d'anthologie aurait eu lieu, mais il faut malheureusement avouer qu'elle nous a laissé dubitatif sur plusieurs points importants.

Au rayon des réussites, quelques très bonnes idées, dont la pastorale de l'acte II, avantageusement remplacée par un spectacle de marionnettes subtil et poétique, exécuté de main de maître par Arturo Balostro et son équipe. Autre excellente idée, la scène dans la chambre d'Hermann, vue en plongée, ce qui produit un effet très impressionnant. La scène finale, sur une immense table inclinée est également très efficace.

Parmi les défauts de cette production, un certain statisme dans le jeu des acteurs, la scène de la mort de la Comtesse est emblématique à cet égard, figée, sans émotion. Il y a également beaucoup de défilés de choristes, réalisés sans grande imagination, mais surtout, le plus gênant est la contradiction entre le livret et les décors et costumes de John MacFarlane, qui situent apparemment l'action dans les années 20 de la Russie post-tsariste, avec des uniformes tristes et des décors décrépis. Passe encore sur des fêtards qui crient « Vive la Grande Catherine » alors que la scène se trouve transposée un siècle et demi plus tard, mais comment croire que la Comtesse, qui a une dizaine de domestiques, n'aurait pas les moyens de remplacer le papier peint de sa chambre ?

En somme, cette mise en scène est trop inégale pour susciter l'enthousiasme, ce qui explique peut-être le manque de chaleur du public lors des saluts, alors que musicalement, il a pourtant été gâté.

Dans le rôle d'Hermann, le ténor Vitali Tarachenko, à la voix métallique et raide et au ton un peu compassé fait néanmoins preuve de puissance et d'une belle endurance, ce qui lui autorise un IIIe acte vocalement très vaillant. Ajoutons qu'il est assez âgé et qu'il n'a pas précisément le physique d'un séducteur, ce qui rend ses amours avec la très jeune et très belle Lisa assez peu crédibles. Son manque de charisme et son air falot sont en fait en parfaite adéquation avec la mise en scène, qui fait d'Hermann un personnage hagard, ballotté par les événements, ne semblant jamais jouir de toutes ses facultés.

Lisa, justement, est merveilleusement interprétée par , soprano au timbre très pur et aux aigus radieux qui est de surcroît dotée d'un instrument puissant, lui permettant de franchir sans difficulté la barrière de l'orchestre. Cette voix est également capable de la plus grande finesse, ce qui nous vaut un duo très troublant avec le timbre très sensuel de la mezzo Marina Domaschenko, très brillante interprète de Pauline. est un Tomski enthousiasmant, timbre frais et clair, il allie projection et mordant et se montre à l'aise sur toute l'étendue de la tessiture, on lui pardonnera donc volontiers une émission légèrement engorgée.

Les petits rôles sont très bien pourvus, citons la Comtesse de , qui donne à son air une grande intensité, le Prince Ieletski de Vladimir Chernov fort bien chantant, ainsi que le baryton belgo-syrien Nabil Suliman, qui fait un très beau Sourine grâce à sa voix riche et souple, mais qui manque un peu de puissance. Cette brillante distribution est complétée par des chœurs magnifiques de précision et de brio, la maîtrise n'étant pas en reste.

Soulignons enfin la très convaincante prestation de l'orchestre, clarinettes et cuivres se couvrant de gloire, galvanisé par un chef, Danielle Callegari qui a su trouver le juste équilibre entre énergie et sentimentalité, et qui a notamment réussi à donner au IIe acte des couleurs mozartiennes très bienvenues.

Crédit photographique : © Johan Jacobs

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