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Ernst Křenek à Cologne, Jonny ou les années 20

Un héros noir musicien de jazz… Des personnages tous libertins cherchant avant tout le plaisir sexuel avec au milieu un artiste, compositeur en crise…

Une histoire décousue se rapprochant plus de la revue musicale que de l'opéra traditionnel … L'utilisation de tous les moyens techniques disponibles pour mettre en scène notamment un glacier et un véritable train … Et pour tout cela une musique s'inspirant du charleston et du jazz !

Depuis sa création à Leipzig en 1927, Jonny spielt auf d' a été perçu comme l'opéra par excellence des années 20 (et par conséquent, dès 1933, comme l'exemple type de la musique dégénérée). Seulement, le compositeur – également auteur du livret – n'avait nullement prévu de glorifier l'esprit de son époque. Au contraire, en créant une atmosphère plus vraie que nature, il comptait démasquer la superficialité et l'hypocrisie de ses contemporains. Mais le public ne le comprenait pas. Ce qui ne fonctionna pas en 1927 fonctionne d'autant moins en 2005. Pour un public d'aujourd'hui Jonny spielt auf n'est que l'incarnation pittoresque d'une époque longtemps révolue que l'on agrémente regrettablement d'une musique jazzy assez sympathique et trop facile à écouter.

, dont la mise en scène a déjà été montrée au Staatsoper de Vienne (décors : Andreas Reinhardt, costumes : Falk Bauer) semble être du même avis. En misant uniquement sur la carte du divertissement et de la revue musicale, il écarte dès le début toute possibilité de regarder derrière la façade. Mais – quelques exagérations mises à part – tout cela va bien avec la musique, ce qui n'est pas souvent le cas avec ce metteur en scène. On s'amuse donc même s'il est dommage qu'il nous prive des effets du tableau de la gare qui ont autant ébloui les spectateurs en 1927. Ici, un train n'est visible que pendant quelques secondes, et uniquement à l'aide d'une vidéo.

Cette première a pourtant été un succès musical. Sous la direction flamboyante et précise du chef japonais Ryusuke Numajiri – spécialiste du XXe siècle – l'opéra de Cologne a réuni une distribution plus que solide. Dans le rôle-titre, on trouve le formidable baryton allemand qui a toutes les qualités requises pour interpréter ce personnage, malheureusement assez monolithique : une belle voix charnue, homogène sur toute l'étendue et une excellente présence scénique. Le rôle d'Anita a été confié à la soprano américaine Nina Warren, révélée à Cologne en automne dernier dans Turandot. Sa voix puissante et métallique fait finalement plus penser à la princesse glaciale de Puccini qu'à la chanteuse capricieuse de Krenek. Toutefois, grâce à sa musicalité et son jeu passionnant, elle parvient à dresser un portrait crédible de son personnage. C'est le ténor – un des rares chanteurs à chanter à la fois Siegfried et Mime – qui affronte la tessiture redoutable du compositeur Max. Est-ce par nervosité qu'il fait annoncer une indisposition à la fin de l'entracte ? Son timbre et son style rappellent beaucoup le jeune  : une voix puissante, mais claire, des sons très ouverts dans le haut-médium, un aigu percutant mais assez poussif, un chant basé essentiellement sur une diction exemplaire et un investissement scénique et vocale qui force l'admiration. Deux des meilleures interprétations enfin sont dues à deux jeunes membres de la troupe de Cologne : la soprano pétillante dans le rôle d'Yvonne et le baryton particulièrement prometteur de .

Le public s'est montré ravi des interprètes et du chef. Une petite huée pour a vite été étouffée par les applaudissements.

Crédit photographique : © DR

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