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Tancredi échappe au naufrage

L'aventure du Tancredi de Rossini à la Canadian Opera Company (COC) de Toronto ne commence pas sous les plus heureux auspices. Les décors, en location du San Carlo de Naples, sont retardés en haute mer et n'arrivent pas à temps pour commencer les premières répétitions avec une distribution qui est pourtant bien là.

Le jour de la première, le 1er avril, les décors sont en rade dans le port de … Montréal. Poisson d'avril? Pas du toutet quelques jours avant il fallut trouver une solution de remplacement. Elle viendra d'un beau travail d'équipe impliquant le chorégraphe et metteur en scène, Serge Bennathan, le concepteur des éclairages, et un nouveau concepteur des décors, Yannick Larivée. Les résultats de leur collaboration sont étonnants et d'une extraordinaire fraîcheur.

Au lieu de voir les décors napolitains de 2002, nous sommes devant une scène très dépouillée sur laquelle se posent deux ou trois panneaux ressemblant à ceux qu'on a vu la veille dans Il Trovatore et quelques billes en bois équarris. La nécessité étant la mère de l'invention, on imagine donc une scénographie minimaliste qui, si on excepte les costumes, expédiés directement par avion, ne permet pas de nous situer dans le temps. Le seul élément véritablement décoratif, une voile de bateau traversant la scène, signale l'arrivée de Tancredi qui sort de derrière cette voile. Tout le reste se joue devant un écran tour à tour bleu, blanc ou noir et sous des éclairages qui ponctuent de façon appropriée les différentes situations. Quant aux costumes, ils sont bien d'époque, mais d'un kitch à faire pleurer. Ils auraient dû eux aussi être expédiés par la mer.

La mise en scène s'accorde parfaitement avec l'esprit de l'œuvre et en la plaçant hors du temps, elle a l'avantage de nous mettre en contact plus étroit avec ses beautés, car si l'aspect visuel n'est pas en reste, c'est surtout son profil dramatique qu'elle fait ressortir. Les personnages se déplacent avec aisance et toujours à propos sans qu'il y ait jamais d'excès ou d'emportement dans leur va-et-vient. Il en est de même du positionnement des soldats, en particulier dans le combat final qui marque la victoire de Tancredi et de ses hommes sur les Sarrasins, mais aussi son destin fatal. Sans armes à la main, chacun à l'exemple du héros, mime les coups portés. Quant aux costumes, ils sont bien d'époque. Musicalement le plateau est pratiquement irréprochable. Ewa Podlés éblouit par la richesse de son timbre, l'agilité de ses vocalises et la générosité de ses graves. Cette voix, un tantinet rugueuse, faite sur mesure pour ce rôle, étonne par son étendue. Du début à la fin on n'a senti aucune manifestation de fatigue. Le «Di tanti palpiti» et surtout son air du second acte «Perchè turbar la calma» avec un contre-ut magnifiquement projeté ont été des moments de pur délice et ont soulevé des applaudissements nourris. On ne dira jamais assez combien cette chanteuse est aimée des Torontois qui l'ont adoptée en quelque sorte et qui leur rend bien leur affection.

Nicoletta Ardelean, en remplacement d', donne un beau relief à son personnage d'Amenaide. Les attaques sont franches, la ligne vocale juste et le souffle magnifiquement contrôlé. Elle exprime avec chaleur la tendresse et l'émotion, mais c'est dans les moments de tension qu'on la trouve à son meilleur. Son engagement dramatique révèle alors une personnalité dotée d'un sens inné de la scène.

Michael Colvin prête à Argirio une belle voix rossinienne dont la richesse s'est accentué depuis quelques années. Vraiment la surprise est de taille. On note bien quelques aigus légèrement détimbrés dans son «Pensa, pensa» du premier acte et dans le redoutable «Ah, segnar invano io tento», mais c'est peu en somme dans l'ensemble d'une chaleureuse prestation. On demeure confiant qu'en portant une attention adéquate à ce petit problème, il pourra trouver les corrections idoines.

incarne un Obarzzano imbu d'orgueil. Son magnifique baryton est naturellement séduisant et sa forte implication dans un rôle somme toute secondaire souligne la stature du personnage. est admirable en Isaura et nous gratifie d'un magnifique «Tu chai miseri conforti» au début du second acte. Mais ce rôle est bien petit pour cette chanteuse dont les possibilités vocales sont trop importantes pour qu'elle continue de se confiner à des rôles d'envergure aussi réduite. Il faudra qu'elle en sorte pour atteindre la plénitude de ses moyens. Laura Whalen a donné une interprétation remarquée de Roggiero, l'ami de Tancrède.

Tout comme la veille dans Il Trovatore, le chœur de la COC est impressionnant. Les voix sont très soignées et rehaussent par leur splendeur la qualité de la représentation. Entre le plateau et la fosse, l'équilibre est toujours maintenu. À ses débuts à la COC, , un chef totalement inconnu jusqu'ici, insuffle à l'orchestre la flamme nécessaire pour rendre à l'œuvre toute sa noblesse. Il apporte aux chanteurs un soutien pertinent et sa direction alerte fait resplendir toutes les richesses harmoniques de la partition. L'excellente acoustique de la salle aidant, on apprécie davantage ses qualités dramatiques. Pour cette production la COC a choisi le final tragique composé par Rossini pour les représentations de Ferrare. Il a le mérite de coller davantage à la pièce de Voltaire que le final heureux de la création à Venise. Mais on a pu noter que pour les gens en salle, cette fin en forme de récitatif a semblé décevante. Il est vrai qu'on est loin ici de l'éclatant rondo de Venise, mais il convient quand même de retenir que la couleur sombre du final ferrarien ajoute à la grandeur de l'œuvre. C'est une affaire de choix!

Crédit photographique : © Michael Cooper 2005

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