- ResMusica - https://www.resmusica.com -

La guerre froide en musique

Ce concert a été un grand bonheur musical grâce à un programme judicieusement choisi par le chef japonais et une interprétation remarquable de bout en bout.

Ce programme a procuré un plaisir infini au public du Théâtre des Champs-Élysées, totalement sous le charme de cette promenade musicale des USA à l'URSS, loin des vieux démons de la guerre froide qui a marqué l'époque de ces œuvres exceptionnelles. a témoigné son affection à des musiciens dont il dirige les œuvres avec talent et générosité.

A commencer par dont Leonard Bernstein a dit qu'il a fait sortir la musique américaine de l'ombre. Considéré comme le père de la musique américaine, Copland est l'un des premiers compositeurs à avoir donné identité et notoriété à la musique du Nouveau Monde. Il a dominé toute la vie musicale des Etats-Unis entre les années 30 et 90 et laisse une œuvre profonde qui a su unir la grande tradition musicale européenne avec l'authentique musique américaine, le jazz mais aussi le folklore. Son écriture se caractérise par une infinie variété de langages et de techniques, mêlant des structures dissonantes à un sens développé de la tonalité. Il a su opérer la synthèse des genres tout en restant très personnel. On lui doit des chef-d'œuvres comme Billy the Kid (1938), la musique du film Des Souris et des Hommes de John Ford (1939), Rodeo, Lincoln Portrait et Fanfare for the common man (1942), Appalachian Spring (1944). En 1958, il reçoit un Oscar pour la partition du film l'Héritière, de William Wyler.

Composé en 1933-36, El Salon Mexico est créé en 1937 à Mexico. C'est à la suite d'un voyage en 1932 dans la capitale mexicaine que Copland écrit cette œuvre pittoresque sous-titrée Popular Type Dance Hall in Mexico City. Tout en gardant son originalité propre avec une orchestration, une inspiration mélodique très personnelle et un sens harmonique loin de la simple illustration touristique, le compositeur a su intégrer les thèmes populaires mexicains et la richesse des éléments du folklore. Le résultat est une œuvre élégante, dansante, et vive qui sous la baguette avisée de à la tête d'un Orchestre National scintillant nous emporte dans le tourbillon exotique d'un monde à la fois surréaliste et tendre.

Le Concerto pour clarinette, cordes, harpe et piano de Copland, écrit en 1947-1948 est créé en 1950 à New York. C'est une commande du clarinettiste Benny Goodman qui le crée en 1950 sous la baguette du compositeur. Le jazz et les éléments les plus classiques de la musique cohabitent dans une élégante harmonie et une fluidité remarquable. En choisissant un effectif cordes-harpe-piano pour entourer la clarinette, Copland ne donne pas la priorité au jazz mais se sert de l'improvisation, du phrasé, de la syncope pour créer une œuvre à la fois intime, sensuelle, lyrique et brillante.

Le jeune clarinettiste anglais Julian Bliss se joue magnifiquement des exigences virtuoses de cette œuvre dont les deux mouvements sont liés par une cadence de toute beauté. Sa clarinette mœlleuse, tendre, au phrasé raffiné, loin des effets auxquels ce Concerto peut souvent donner lieu, offre une subtile palette de sonorités pour ce parcours de méditation, d'intimité, de mélancolie et de bonheur.

En ces temps de guerre froide, loin des USA, dans une URSS soumise à la dictature stalinienne, Aram Khatchaturian et poursuivent, souvent très difficilement, leur travail magnifique. Composé en 1936 et créé le 12 juillet 1937 au Parc Sokolniki de Moscou par Lev Oborine au piano et l'orchestre Philharmonique de Moscou sous la direction de Lev Steinberg, le Concerto pour piano d'Aram Khatchaturian s'inspire du folklore arménien tout en respectant un certain classicisme des formes. Avec cette œuvre qui a étendu la notoriété du compositeur dans le monde entier, on est dans une écriture pianistique brillante qui exige rythme, virtuosité, couleurs. Lyrique, habité par l'œuvre de cet immense compositeur arménien, comme lui, s'empare de la partition avec une force, une densité et une énergie impressionnantes. Yukata Sado et l'Orchestre National restituent avec bonheur toute la chatoyance et la richesse de l'orchestration jusqu'au très éclatant finale en toccata du troisième mouvement. Lors du premier mouvement Allegro ma non troppo e maestoso le hautbois trouve avec une tendre expression le ton nostalgique du second thème d'où nous parviennent les belles couleurs sonores de l'Asie centrale. Dans le second mouvement Andante con anima, le « flexaton » avec sa sonorité si particulière attire toujours la curiosité de l'oreille et la clarinette basse est parfaite d'élégance et de finesse.

Le concert s'achève avec Chostakovitch et ses magnifiques chef-d'œuvres que sont les Deux Suites de jazz pour grand orchestre. Composée en 1934, la Suite pour orchestre de jazz n°1, n'a de jazz que le nom. On est plus dans l'esprit cabaret, voire de la musique de film, quelque peu illustratif parfois mais avec des constructions harmoniques, des couleurs et des lignes mélodiques qui tranchent avec l'ensemble d'une œuvre angoissée, toujours prenante, profondément bouleversante d'intensité et de force. Au contraire, avec ces Deux Suites, on ressent le bonheur du compositeur à écrire du jazz, un jazz évidemment à la mode soviétique car à l'époque tout ce qui vient des USA est suspect et taxé de musique bourgeoise. L'interprétation qu'en donne le « big band » de l'Orchestre National mené par Yukata Sado et le premier violon Luc Héry est un régal de légèreté, de souplesse rythmique avec un swing très viennois qui glisse allègrement sur les eaux du beau Danube. Avec la Suite pour orchestre de jazz n°2 d'une grande richesse orchestrale, on se sent emporté dans une élégante atmosphère de valses et de polkas viennoises, d'airs et de danses populaires, de fêtes villageoises tourbillonnantes de gaieté. L'orchestre au grand complet est magnifique de fraîcheur, de vivacité, de nostalgie, notamment avec la Waltz n°2 qui a servi de générique publicitaire télévisuel à une compagnie d'assurance.

Ce superbe concert s'est soldé par un « Tea for two » en bis que n'aurait pas renié Irving Caesar son compositeur, même si les puristes préfèreront toujours la version de Lester Young et Oscar Peterson.

Crédit photographique : © Lucy Fitter/EMI Classics

(Visited 770 times, 1 visits today)