La carrière d'Edita Gruberová est, à maints égards, exceptionnelle. Alors qu'à Vienne, à Munich, Berlin ou Barcelone, elle est fêtée comme la reine incontestée du belcanto, elle n'a jamais su gagner les publics français et italiens ni s'établir durablement au Metropolitan de New York.
Et si ses enregistrements sont très nombreux, bon nombre d'entre eux ont été réalisés par des petites maisons de disque et avec des partenaires d'un niveau bien inférieur à celui de la diva slovaque.
Ce n'est heureusement pas le cas de ce DVD enregistré il y a quatre ans à Barcelone qui, par ailleurs, la montre au sommet de ses moyens vocaux et interprétatifs. La voix est infiniment belle, la maîtrise technique est totale et la virtuosité est à couper le souffle. Et pourtant, toutes ses vocalises, ces messe di voci sublimes, ses suraigus impressionnants ne sont pas qu'une démonstration du savoir-faire de la prima donna. Au contraire, cette virtuosité est à tout moment au service de l'interprétation du personnage d'Elvira dont Edita Gruberová rend ainsi justice à toutes les facettes – en faisant oublier que, scéniquement, elle a déjà dépassé l'âge du rôle. Arturo est interprété par le ténor catalan José Bros. S'il ne possède pas les moyens exceptionnels du jeune Alfredo Kraus ou d'un Juan Diego Florez, il connaît les règles stylistiques du belcanto italien et il maîtrise avec une facilité admirable la tessiture presque inchantable du rôle, do dièse et ré suraigus inclus. Dans le rôle de Riccardo, Carlos Álvarez déploie toutes les richesses de son formidable baryton – malgré quelques aigus un rien poussifs –, s'avérant lui aussi un spécialiste du phrasé belcantiste. Plus en retrait, le Sir Giorgio de Simón Orfila, dont le timbre très clair manque de l'autorité pourtant indispensable à ce personnage.
Au pupitre de l'orchestre du Gran Teatre del Liceu, on retrouve Friedrich Haider, compagnon de la Diva dans la vie artistique et privée. Souvent peu inspiré, occupé seulement de suivre le chant de sa compagne, sa prestation tout à fait efficace sur ce DVD nous a beaucoup surpris.
Et la mise en scène? Il s'agit d'une production conçue originairement pour le Welsh National Opera en 1982! Ce qui a pu paraître moderne à l'époque – des décors abstraits en métal pour les actes I et II, une seule diligence dans la glace pour l'acte III – ne nous impressionne pas particulièrement en 2005. En revanche, on regarde avec complaisance les beaux costumes d'époque. La direction des acteurs est plutôt soignée, même si quelques entrées de figurants trahissent un peu trop leur but, c'est à dire de « meubler » les longs airs de Bellini. Mais, honnêtement, qui s'achèterait un DVD des Puritani pour la mise en scène?