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Christophe Rousset dirige Temistocle

Sans doute ne connaissez-vous pas les opéras de : rassurez-vous, vous n'êtes pas le seul et pour cause, ce Temistocle n'avait pas été donné depuis plus de deux siècles !

Œuvre d'une époque charnière, entre baroque et classicisme naissant, son style en pleine mutation évolue au fil des actes. Ainsi, le début semble typiquement baroque, succession d'arias da capo virtuoses à l'écriture stéréotypée, séparés par d'importants récitatifs secco (accompagnés par la seule basse continue). Puis apparaissent au second acte quelques signes d'un certain modernisme : récitatifs accompagnés, airs concertants plus expressifs, écriture moins basée sur des effets harmoniques répétés. Enfin, le troisième acte apparaît le plus classique, au vrai sens du terme, abandonnant largement le récitatif au clavecin pour des récitatifs orchestraux plus amples, tandis qu'ensembles et airs s'enchaînent plus harmonieusement. Mais, étrangement, malgré cet aspect expérimental, l'œuvre n'en semble pas pour autant décousue, cette évolution du langage accompagnant même assez heureusement l'évolution psychologique des personnages. Et si le dernier acte est sans aucun doute le plus intéressant musicalement, l'ensemble dégage un dramatisme assez prenant, sans aucun ennui. On voit d'ailleurs clairement quelle leçon Mozart, qui avait rencontré Jean-Chrétien Bach à Londres et appréciait beaucoup ses opéras, saura tirer de ces innovations, poussant cependant plus loin cette cohésion dramatique ébauchée ici.

Cette redécouverte, coproduite par le théâtre du Capitole, l'Opéra et le Festival Bach de Leipzig n'a donc rien de ces fausses révélations que certains labels exhument à longueur de galettes argentées pour relancer un marché en chute libre. Temistocle n'est pas seulement un témoignage historique sur une époque de transition mal connue – aspect qui passionnera sans doute les spécialistes, mais eux seuls – c'est avant tout un très bel opéra, à l'intérêt musical et dramatique constant et que tout amateur du style classique aura plaisir à entendre, d'autant qu'il est donné dans d'excellentes conditions. Il faut avant tout saluer le travail exceptionnel de  ; son orchestre des Talens Lyriques s'impose ici comme le modèle de ce que l'on attend dans le classicisme viennois. Légèreté, finesse du trait, esprit, mais également puissance et homogénéité sonore, un vrai régal pour les oreilles et l'esprit. Surtout, évite absolument les effets « baroques » hors de propos comme la verticalité raide de certains chefs « à l'ancienne », sa direction s'impose par sa souplesse et une compréhension idéale du langage classique en tant que tel et non revu au travers de présupposés stylistiques remontant à… Bach père !

Autour de lui, une équipe de chanteurs jeunes, peu connus mais de grande qualité, dont se dégagent avant tout les très belles voix de , volcanique princesse de Perse et , Aspasia de feu. Metodie Bujor domine de la voix, et de la taille, la distribution masculine. Voix ample mais agile – il chante d'habitude plutôt Grémine, Pimène ou Banco ! – il s'impose également par son aisance en scène ; il est vraiment le prince magnanime et clément, imposant et sûr de lui. Non que le reste des chanteurs soit médiocre, mis à part le Neocle bien acide de Cecilia Nanneson. Mais Rickard Söderberg, malgré d'évidentes qualités stylistiques et un engagement certain, pâtit d'un timbre terne comme d'un manque de présence scénique. Meilleur acteur, Reno Troilus n'a pas l'onctuosité sonore des meilleurs altos masculins. Mais tous se montrent acteurs sincères et engagés, à défaut d'être d'inoubliables chanteurs.

Car il paraît évident que la qualité du spectacle doit beaucoup à cet investissement des artistes pour donner corps à leurs personnages. Malgré de très beaux costumes, d'un style très Kenzo, la mise en scène se contente en effet du minimum, une animation permanente de figurants qui donne à force l'impression que les personnages principaux, moins mobiles, restent en quelque sorte à la périphérie de l'action, et n'aide pas à se concentrer sur leurs dilemmes moraux. On se serait surtout passé de l'Algeco ® (vous savez, les cabanes de chantier) sur roulette au milieu d'un bassin qui fait office de décor unique. Outre qu'il est assez ridicule de le voir tourner en permanence, le bruit qu'il produit finit par être lassant.

Mais il est certain qu'il s'agit d'une véritable révélation, qui fait attendre avec impatience que d'autres opéras de revoient le jour, et, surtout, qu'un enregistrement discographique permette à de nombreux mélomanes de découvrir ce Temistocle.

Crédit photographique : © Patrice Nin

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