- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Les ballets grecs de Stravinsky par Robert Craft

Naxos reprend intelligemment le fond de certaines maisons de disques pour en rééditer les meilleurs morceaux. Extraits des catalogues de Musicmasters et de Koch International Classics, la réunion de ces trois ballets sur un même CD allait de soit, tant par l'inspiration (l'Antiquité grecque) que par leur chorégraphe (Balanchine).

« En étudiant la partition, je compris tout d'abord que les gestes, comme les sons en musique et les teintes en peinture, ont certaines similitudes. Ils imposent leurs propres lois. Et plus un artiste est conscient, plus il devient capable de comprendre ces lois et de leur obéir. Depuis que j'ai travaillé avec Stravinsky pour ce ballet, mes chorégraphies sont devenues plus structurées. » Cette citation de George Balanchine illustre parfaitement la perfection de la forme quasi obsédante de la période néo-classique de Stravinsky. Apollon Musagète (créé en 1928 par les Ballets Russes, révisé en 1947) raconte la naissance d'Apollon et sa consécration en tant que dieu des Arts par les Muses. Ce ballet a été entièrement composé selon les principes de la métrique poétique grecque. Il en résulte une construction architecturale parfaitement réglée dans l'agencement du thème et des variations, sans que l'esprit ironique de Stravinsky – qui fait référence ici aux danses du XVIIIe siècle- ne soit effacé.

Agon (1957) « ballet pour 12 danseurs » à l'intention du New York City Ballet est du Stravinsky dernière manière. Son jeune assistant lui a fait découvrir pleinement en 1948 le principe de la série – non pas que le grand compositeur l'ignorait, mais cela ne l'avait jamais attiré. L'empreinte de Webern dans l'orchestration est évidente, mais la série de douze sons est traitée de manière très libre, sans référence au dogmatisme viennois, bref tel un ultime avatar de néo-classisme, Stravinsky bien qu'empruntant à d'autre fait toujours du Stravinsky.

Orpheus (1947 par le Ballet Society de New York) qui clôt ce disque fait nettement référence à un autre compositeur dont la mise en musique du mythe d'Orphée est un jalon important de la création musicale : Claudio Monteverdi. Stravinsky découvrait à l'époque – grâce à Nadia Boulanger – les polyphonies de la Renaissance et du début de l'ère baroque – son œuvre ultérieure, la Messe, y fait clairement allusion. Orpheus n'emprunte rien au maître de Crémone, tout est clin d'œil et pied de nez musical dans une série de variations virtuoses qui ne mobilisent que rarement l'effectif orchestral complet.

, le confident des dernières années d', dirige de main de maître une musique qui est pour lui une seconde nature. Loin de toute aridité malgré leur rigueur formelle, ses trois ballets, servis par des orchestres de grand luxe qui nous font scintiller cette instrumentation parcellaire tout à fait particulière, regagnent ainsi toute leur valeur de pièce de concert. Un album à ranger aux côtés pour Agon des versions d'Evgueni Mravinski (Philharmonique de Leningrad avec la symphonie n°15 de Chostakovitch, Melodiya), Michael Tilson Thomas (avec le LSO, RCA Read Seal) et Robert Irving (avec le New-York City Ballet Orchestra, « a Balanchine Album » Nonesuch). Pour Orpheus la version d'Esa-Pekka Salonen (et le Philharmonique de Londres, Sony) reste excellente. Enfin avec Apollon Musagète il ne faut pas oublier Mravinsky (Leningrad, Melodiya, avec la symphonie n°5 de Tchaïkovski), ni Simon Rattle (City of Birmingham Orchestra, couplé avec le Sacre du Printemps, EMI) ou Neeme Järvi (coffret de 5 CD « Essential Stravinsky » Orchestre de la Suisse Romande, Chandos). Mais la version Craft, rééditée par Naxos, offre en plus l'avantage d'un prix plus que doux.

(Visited 776 times, 1 visits today)