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Mado Robin chante Lakmé

Réédition si l'on veut, il n'en reste pas moins vrai qu'il s'agit d'une étape très importante dans le domaine de l'enregistrement lyrique, et cela méritait bien que nous nous y attardions quelque peu.

En effet, cet enregistrement constitue à notre connaissance la première gravure intégrale de Lakmé, réalisée à Paris en juillet 1952, sous la direction artistique du très regretté Max de Rieux. Le succès de cet enregistrement fut tel qu'il n'a jamais quitté le catalogue : initialement attribué sous la référence LXT 2738-40, il fut par la suite réédité, toujours en trois microsillons, mais sous référence LXT 5635-37, avant de connaître, 53 ans plus tard, sa toute première incarnation intégrale en deux CDs. Que dire de cette version illustrissime, sinon du bien?

Le style de Delibes est caractérisé par une grâce, une légèreté et un raffinement français typiquement de cette époque d'où était exclue toute vulgarité. À notre sens, si Faust de Gounod, Carmen de Bizet et autre Samson et Dalila de Saint-Saëns sont à juste titre des incontournables de l'opéra français, nous manifestons une faiblesse toute particulière pour Lakmé de Delibes et Le Roi d'Ys de Lalo (pour nous en tenir à la même époque), en raison de leur subtilité et leur raffinement musicaux plus marqués, notamment dans l'harmonisation et l'orchestration (il suffit d'écouter l'» air des clochettes » pour en être convaincu).

Quant aux interprètes, il faut d'abord signaler qu'il s'agit du seul enregistrement intégral d'un opéra chanté par (1918-1960), dont la voix légèrement acidulée, pouvant atteindre miraculeusement et sans effort le contre-contre-ut, faisait merveille dans le rôle de la jeune Lakmé. Rien que pour cela, cette gravure est LA version à laquelle tout autre interprète se retrouve redoutablement confrontée, malgré l'exemple d'autres grandes Lakmé, telles que Leïla Ben-Sédira, Clara Clairbert, Solange Delmas, Lily Pons et , cette dernière ayant également gravé l'opéra intégral. Une autre qualité de cette version est qu'elle est entièrement française, ce qui ne gâche rien pour la diction! Il s'agit de l'équipe de l'Opéra-Comique de Paris en 1952 : en Lakmé, Libero de Luca en Gérald, Jean Borthayre en Nilakantha, Jacques Jansen (ce fabuleux Pelléas!) en Frédéric, Agnès Disney en Mallika, Claudine Collart en Ellen, les Chœurs et l'Orchestre de l'Opéra-Comique dirigés par . Rappelons d'ailleurs que Lakmé fut précisément créé par l'Opéra-Comique en 1883.

Il est en effet bien difficile, pour des auditeurs d'expression française, d'accepter des dictions aux accents impossibles : on se souvient entre autres de certaines Carmen, du Méphisto cocasse de Boris Christoff, des Faust et Roméo inénarrables de Franco Corelli, et tant d'autres exemples qui prouvent que la méconnaissance d'une langue est synonyme de déformations stylistiques, qu'une diction qui inspire le rire détruit toute possibilité d'émotion vraie et compromet les séductions d'une voix. L'Australienne Joan Sutherland a également enregistré (chez le même éditeur) une Lakmé qui ne ridiculisait pas sa beauté vocale, mais qui était entachée d'un maniérisme assez irritant. Ce n'est évidemment pas le cas ici, et on appréciera tout particulièrement le fait qu'il ne soit pas nécessaire de suivre le texte du livret tant la diction de tous est impeccable. Le personnage tendre et délicat de Gérald trouve en la voix de Libero de Luca un timbre chaud et velouté qu'il conduit avec intelligence et distinction ; le rôle de Nilakantha offre à Jean Borthayre l'occasion de montrer une belle prestance vocale, toute de plénitude et de vigueur, à la diction mordante, qui donne à ce personnage somme toute assez conventionnel beaucoup de caractère et de relief ; quant à bénéficier de la présence du bien regretté Jacques Jansen en Frédéric, c'est vraiment du grand luxe : cet admirable baryton détaille le texte avec une juste et simple vérité, et parvient à composer un véritable personnage du rôle si souvent sacrifié de Frédéric. Excellente Mallika d'Agnès Disney, et rôles secondaires très bien tenus. Sous la baguette ferme et précise de Georges Sébastian, les Chœurs et l'Orchestre de l'Opéra-Comique nous livrent une exécution alliant passion, finesse et vitalité, rendant pleine justice à la musique souvent sous-estimée – à tord! – de . Voilà un très grand chef actuellement bien méconnu dont nous avons encore le souvenir ému d'une personnalité toujours chaleureuse et constamment souriante.

Maintenant, du point de vue technique, écoutez l'ampleur sonore de cet enregistrement, même s'il est en monophonie, et vous n'en croirez ni vos oreilles, ni la date d'enregistrement!… Mais on sait que DECCA a toujours fait des miracles à ce niveau. Il faut également souligner les effets de foules qui ne gênent en rien la musique, mais qui donnent l'illusion très réaliste d'une exécution « live », alors qu'il s'agit d'un enregistrement studio.

Et comme si tout cela n'était pas assez, le second CD (de plus de 80 minutes!) nous propose en outre deux extraits de La Sonnambula de Vincezzo Bellini (1801-1835), ainsi que le Thème et Variation de Heinrich Proch (1809-1878), le tout dirigé par Anatole Fistoulari (aussi un chef tristement oublié de nos jours!…), musiquettes qui n'ajoutent sans doute pas grand chose à la gloire de , mais qu'elle savait défendre avec cette distinction et ce charme dont elle possédait le secret.

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