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Magdalena Kožená, raffinement sauvage

Kozena et les Violons du Roy

Oubliez la raideur hiératique dévolue aux tragédies lyriques de Gluck, le trop grand respect aux formes héritées du siècle de Louis XIV de Rameau, la musique de ballet si souvent décriée de Rebel et laissez-vous porter sur les ailes de la musique, par la symphonie et le chant, vous en ressortirez comme ragaillardi et plus libre. Cela résume ce concert, spirituel et excessif, barbare et raffiné, de la virtuosité du petit ensemble des Violons du Roy et de leur chef au tempérament ardent de l'artiste invitée, .

Ce que nous avons entendu, ce ne sont pas badinages superficiels dix-huitième, entre âge baroque et Marie-Antoinette, avec perruque et mouches, fardée au maniérisme d'une époque révolue, mais la mâle inspiration de grands musiciens ; ce ne sont pas non plus, les belles manières d'une aimable cantatrice aux propos galants, égarée au siècle des Lumières, mais bien plutôt le tempérament de feu d'une artiste véritable qui annihile toutes les idées reçues de froideur apparente, toute distanciation avec la matière musicale.

, nature incandescente, interprète ces œuvres sanguines et passionnelles, avec fougue, couleurs et style. Elle donne vie aux personnages qui l'habitent et nous bouleversent. Elle a le don rare de toucher l'âme humaine. Toutefois, avouons-le sincèrement, une certaine appréhension pesait dès son air d'entrée : «Où suis-je ? Ô malheureuse Alceste !… » de Gluck, où les graves sont à peu près absents, soupçon d'une défaillance, vite maîtrisée par la suite, dissipée comme un nuage furtif faisant ombrage à la clarté du jour. Certes, la voix est claire et transparente comme une gemme, les aigus sont bien affirmés, elle nous séduit d'emblée par la maîtrise d'une voix hautement éduquée, dont l'ambitus, malgré quelques réserves déjà signalées, ne contraint nullement l'étendue de la voix. D'ailleurs, son interprétation reste impeccable et jamais on ne peut la prendre en défaut. Une voix juste au comma près, d'une bonne technique et qui se démarque de la routine, loin des lieux communs et d'une certaine tyrannie musicologique, ce qui ne signifie nullement le manque de rigueur. Elle donnerait plutôt par la beauté de son chant, une leçon d'esthétique faite de naturel et de chaleur humaine.

Mais parlons plutôt de souplesse car elle modèle son chant, le réinvente à sa portée, prend à bras le corps ces arias et en grande tragédienne, nous transporte sur l'autel, à l'heure sacrificielle des dieux. Certaines notes émises sont volontairement laides, – chez elle, tout est senti – les mains crispées ne pouvant s'agripper à quelque objet pour passer sa haine ou son désespoir. Du grand art. Sa personnalité généreuse, naturelle, nous convainc de la justesse de ses choix. On ne peut la reprendre dans la déclamation, dans la prononciation impeccable et le style français propre aux deux compositeurs, dans l'inflexion donnée à l'intelligence du texte, dans le chant qui en constitue le prolongement lyrique. Et cela ne s'improvise pas, pas plus qu'il ne s'apprend dans les écoles, c'est l'instinct et le raffinement. C'est la maîtrise de la matière littéraire, si importante dans l'opéra français, – le texte reste central dans l'interprétation – c'est le mot qui donne le sens précis et diffuse les couleurs et le style de la pièce interprétée. Sans doute, ce qui définit le mieux la tragédie lyrique, c'est l'instinct sauvage du mythe grec allié à l'extrême raffinement de la musique française. On comprend que la mezzo se soit imposée dans ce répertoire si exigeant depuis maintenant une dizaine d'années. De telles qualités sont rarissimes.

Pour son premier concert donné à Montréal, le public lui a réservé un accueil plus que chaleureux. Cette tournée nord-américaine avec Les Violons du Roy s'achèvera àQuébec le 2 mars. Mais, ce fut en quelque sorte, pour l'ensemble de et la cantatrice, de jubilantes retrouvailles. Nous l'avions entendue pour la première fois, avec la même formation, au Festival de Lanaudière en 2000. chante dans les plus prestigieuses maisons d'opéras. Elle a collaboré entre autres avec Nikolaus Harnoncourt et Marc Minkowski. Nous gardons en mémoire la merveilleuse interprétation d'Orphée et Eurydice de Gluck, donnée il y a quelques années avec John Eliot Gardiner. La soirée du 28 février 2006 est à marquer d'une pierre blanche.

crédit photographique : © Petr Skvrne

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