- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Bruckner c’est beau et c’est grand !

L'édition de concerts radiophoniques permet de compléter la discographie de certains artistes mais elle présente surtout l'avantage de changer l'image, souvent préconçue, que nous nous faisons des musiciens. Ainsi, ce disque donne une vision aussi inattendue que géniale du chef d'orchestre . Grand interprète des symphonies de Gustav Mahler, ce musicien à la carrière assez courte et émaillée de graves problèmes de santé ne s'est jamais imposé comme un brucknérien majeur. Si son massif enregistrement de la Symphonie romantique avec la philharmonie de Berlin (EMI) est convenable à défaut de s'affirmer impérissable, il en va tout autrement de sa triste et pachydermique Symphonie n°8 (EMI) gravée à la tête du London Philharmonic Orchestra. On ne s'attendait donc pas à découvrir un Tennsdedt conquérant et altier qui prend la Symphonie n°3 à bras le corps pour tout arracher sur son passage.

Depuis quelques années, les interprétations de Bruckner, souvent ralenties à l'extrême, donnent l'idée d'un compositeur granitique, auteur de symphonies aussi colossales qu'interminables dans lesquelles il ne se passe rien. Ces versions produisent hélas une vision faussée et font fi des liens de ce créateur avec la musique populaire de son époque et la souplesse rythmique propre à cette musique. Pour faire court : ce n'est pas lourd et pompier, c'est fluide et dansant. La Symphonie n°3, œuvre de transition entre les essais de jeunesse et les partitions de « maturité », résume bien cet esprit allant et « schubertien » qu'il est très difficile de cerner. À la tête d'une phalange de haute culture bruckérienne qui s'est illustrée dans cette musique sous la baguette d'Eugen Jochum, le chef d'orchestre ne fait pas dans la demi-mesure, les musiciens sont la tête dans les pupitres et le tout avance à un rythme aussi vif que soutenu. Ce n'est pas un Bruckner statufié ou une visite façon carte postale de l'Autriche, mais une véritable orgie dans les faubourgs de Vienne qu'organisent ces musiciens, le tout restant tout de même contrôlé au niveau de la construction et jamais débraillé du coté instrumental. Le premier mouvement est emporté avec rage et conviction, le second est lumineux, narratif et évocateur tandis que le Scherzo est réellement dansant et entraînant. Le dernier mouvement explose dans une coda puissante et grandiose. Face à tant d'engagement, de style et d'intelligence, on rend les armes et on salue l'importance de ce disque qui s'impose comme une référence dans cette édition de 1889 aux côtés de Böhm (Decca) et de Sanderling (Berlin Classic), mais avec une toute autre prise de risque et dans une optique différente.

(Visited 162 times, 1 visits today)