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Tugan Sokhiev dirige la « Fantastique »

Il existe des clichés musicaux immuables : on attend ainsi d'un chef Russe – Ossète, d'ailleurs en l'occurrence – qu'il en rajoute dans le genre Cosaque en furie, Danse du sabre déchaînée et guerrier scythe excité. Patatras ! rien de tout cela.

se montre, concert après concert, chef rigoureux, soucieux avant tout de rectitude des tempos, de perfection de mise en place, d'équilibre. Il n'en reste pas moins que d'aucuns continueront à applaudir le tempérament si enflammé du jeune chef ; l'habitude…

Alors, bien sûr, Mendelssohn le trouve à son meilleur. Le Concerto débute, le critique s'enfonce davantage dans son fauteuil, oublie le jeu de mèche ravageur du soliste, et se délecte de la clarté des lignes orchestrales, du jeu des contre-chants et des réponses audibles comme rarement, de l'élégance et du rebond des phrases. Tout respire l'ordre, la maîtrise. Un Mendelssohn apollinien jusque dans le violon de , d'une correction un peu lisse et d'une chaleur limitée.

Mais cela n'est que hors-d'œuvre, copieux certes, mais à peine une mise en bouche pour les sens affamés de rêveries opiacées et de romantisme Jeune-France. La Fantastique, enfin ! Ses sorcières, ses délires, sa vue imprenable sur la campagne orageuse, sa valse tourbillonnante. Tout y est : le juste poids des accents, les tempos idoines, les équilibres attendus. Tout y est de la lettre, en tout cas… Mais sans Harriet Smithson, sans vague des passions, ni opium, ou sorcières maléfiques et ricanantes. La Fantastique de Sokhiev est une page de musique pure, aux équilibres choisis, à l'élocution châtiée, à l'esprit clair ; même le songe du Sabbat garde une sorte de décence de bon aloi. n'est pas un démiurge faisant naître des images enflammées de sa baguette, un thaumaturge envoûtant les cœurs ; il agit en musicien perfectionniste, en peintre soigneux. On ne peut rendre qu'avec difficulté l'impression produite par cette réserve expressive. Il ne s'agit ni de froideur, ni d'une sorte de contrainte due à la timidité – au contraire, le geste du chef est libre, dramatique, tranché. Mais ce tempérament rationnel, univoque et purement abstrait semble priver l'œuvre de sa dimension plus littéraire, dont on sait l'importance pour Berlioz.

Impossible de parler de déception – le concert était de valeur, la virtuosité du chef ne fait aucun doute -, plutôt d'inadéquation, pour l'instant du moins, entre sa personnalité et cette œuvre particulière. Comme le signale l'épigraphe de cet article, on attendait que quelque esprit malin vienne enfin troubler le concert et dise aux musiciens : « Tableaux et paroles magiques, par vos puissants enchantements, troublez leurs esprits et leurs sens ! »

Crédit photographique : © Patrice Nin

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