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L’Office des Naufragés d’Olivier Greif

On connaît peu – pianiste et compositeur qui fut l'assistant de Luciano Bério à l'Opéra de Santa Fé – sans doute parce qu'il nous a quittés trop tôt, à l'âge de cinquante ans et qu'il a interrompu sa carrière de compositeur pendant près de dix ans, dans les années 1980, pour mener à terme une longue démarche spirituelle. Son œuvre est cependant très abondante (une centaine d'opus) que l'on s'efforce aujourd'hui de faire revivre à travers le disque et les concerts.

L'Office des Naufragés, une de ses œuvres majeures résultant d'une commande du clarinettiste Eduard Brunner, fut créée au Schauspielhaus de Berlin le 23 Mai 1998. semble avoir remanié sa partition juste avant sa mort et c'est la version en dix parties, qui semble définitive selon les témoignages de ses proches, qui fait l'objet de ce très bel enregistrement.

Ecrite pour quatuor à cordes, piano, clarinette et voix de soprano, l'œuvre enchaîne dix fragments littéraires, tous écrits par des femmes exceptés les trois emprunts à Paul Celan dont la découverte venait de bouleverser le compositeur. Ces textes en anglais, allemand, yiddish sont lus en français par une récitante – Nita Klein – au début de chaque séquence musicale. De portée religieuse, l'Office des Naufragés est une traversée bouleversante, une vision, au seuil de la tombe, « de tout ce que l'Enfer peut pressentir ». Expérience d'étrangeté également qui nous fait voyager « entre la cime et l'abîme ». Débutant par un chant de désolation le plus contenu, la musique peut basculer dans un délire sonore – commentaire des textes d'une brutalité insoutenable – où la raison chavire jusqu'à l'incohérence du langage. Sur le texte de Juliana Berners La récompense des meutes cite le chant des supporters des matchs de rugby qu'entonnent le piano et la clarinette avant d'être repris par le quatuor à cordes dans une paraphrase grinçante et rageuse. A l'instar du hautbois mahlérien, la clarinette – sublime sous les doigts d' – est caressante lorsqu'elle double la voix mais peut devenir l'instrument de la déchirure, de l'ironie glaçante ou suggérer les couleurs du chant klezmer dans l'évocation du peuple juif. Comme chez Mahler encore, c'est dans le passage du trivial au sublime qu'Olivier Greif trouve la force du saisissement teinté de dérision et de ricanement morbide. est ici la voix de toutes les métamorphoses, du cri à l'imploration, du chant guttural et âpre au lyrisme envoûtant pour servir l'expression du texte et conduire l'Office jusqu'à l'anéantissement des forces dans ce dernier passage extrait du Journal d'un écrivain de Virginia Woolf, naufragée elle aussi qui choisit, comme Paul Celan, de mourir par noyade.

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