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De mémoire et d’oubli, création de Claude Ledoux

Après la création du concerto pour violon Frisson d'ailes en 2004, revenait à l'Orchestre Philharmonique de Liège avec la création d'une nouvelle œuvre intitulée De mémoire et d'oubli. Elle a été inspirée à par la vision du film Eternal sunshine of the spotless mind, de Michael Gondry. Le film se déroule dans un monde où l'amnésie peut être contrôlée et provoquée par la médecine. Lorsqu'il se rend compte que son ex-fiancée Kate Winslet s'est fait supprimer tous ses souvenirs de leur relation, Jim Carrey décide lui aussi de demander à ce qu'on efface de sa mémoire toute trace de sa fiancée. Mais au fur et à mesure qu'il perd ses souvenirs, il se rend compte qu'il ne peut s'en passer, et il lutte pour ne pas l'oublier.

De mémoire et d'oubli est en deux parties, intitulées Pour orchestre et Adagio pour cordes. La première partie est la moins réussie : c'est une sorte de concerto pour orchestre dans lequel les chefs de pupitres ont de nombreux solos à assurer. est ici assez peu inspiré : sa nouvelle composition ressemble à un austère amoncellement de cellules rythmiques et mélodiques assez convenues, sans parvenir à créer un climat original, et dont on a du mal à percevoir le fil conducteur. L'Adagio pour cordes, avec son début saisissant, dans lequel les archets écrasent littéralement les cordes sur l'instrument, est nettement plus réussi : le discours est plus concis et cohérent, les idées ont le temps d'être développées, et les passages mélodieux sont très beaux. La pièce est assez académique, et on a parfois l'impression de suivre le manuel du parfait compositeur pour ensemble de cordes, pourtant cet Adagio a une beauté âpre, mais très réelle. Bilan mitigé cependant pour cette création qui risque de ne pas rester dans les mémoires.

Le charmant Concerto pour violon de Barber forme avec cette œuvre austère un contraste bienvenu. Le jeu de , d'une joie sérieuse et profonde et d'une grande sobriété, rend parfaitement l'atmosphère bucolique et solaire du premier mouvement, et le lyrisme généreux d'un andante dans lequel il semble d'abord musarder sur un chemin de traverse avant de déboucher sur de grands espaces. Le final est la partie la plus courte, un mouvement perpétuel au climat nerveux qui tranche radicalement avec la sérénité des deux précédents. domine son sujet, mais sans donner l'impression d'être totalement libéré : son jeu dans ce final manque un peu de souffle et de passion, mais cette légère carence ne fera pas oublier la grâce très émouvante qu'il a déployée dans les mouvements précédents. Ce concerto est également une magnifique page pour l'orchestre, qui se montre excellent, avec deux moments particulièrement réussis : l'entrée très délicate des vents dans la première partie, et le très beau solo de hautbois au début de l'andante, comme un souvenir du concerto pour violon de Brahms.

Le concert se termine par une Symphonie n°8 de Beethoven bondissante et élégante, mais qui à force de danser, finit par sautiller. La légèreté et la grâce sont bien présents, dans un esprit très « dix-huitièmiste », mais le clin d'œil de Beethoven à l'Ancien Régime contenait aussi une part d'ironie et de farce qui manque ici, ainsi qu'une certaine forme de hargne : tout est trop joyeux et léger, et face à tant de souplesse, on aimerait par exemple entendre un mouvement final un peu plus raide et plus ferme.

Cette soirée était le dernier concert d'abonnement de en tant que directeur musical de l'OPL. Il dirigera encore d'autres concerts à Liège avant la fin de saison, mais déjà, une banderole de remerciements était déployée par un spectateur du balcon au moment des saluts, ce qui a semblé beaucoup toucher le chef français. Ces marques de sympathie, totalement méritées pour l'ensemble de son œuvre, risquent de se multiplier jusqu'au dernier concert : la Symphonie n°9 de Beethoven en concert gratuit pour la Fête de la musique le 23 juin.

Crédit photographique : © Anna Keenan

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