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Roland Petit & le Bolchoï : La Dame de Pique et Passacaille

Bel-Air vient de sortir un DVD qui reprend une soirée du Bolchoï composée de deux pièces du chorégraphe français  : La Dame de Pique et Passacaille, qui, bien que tous deux d'un style fort différent, s'agencent intelligemment au cours d'une même soirée.

La Dame de Pique est un des chefs d'œuvre de la littérature russe, Pouchkine ayant touché là aux abîmes de l'âme humaine, de la torture intellectuelle à la mélancolie suicidaire. a travaillé sur ce canevas pour une première mouture montée sur mesure pour , sur la musique de l'opéra du même nom de Tchaïkovski. Insatisfait de cette version, il a refondu entièrement le livret pour en extraire une vision différente, rendant plus sensuel le rapport entre la Comtesse et Hermann, et cette fois-ci, sur la Pathétique de Tchaïkovski, qui n'aurait décidément jamais pu se douter que ses musiques seraient d'aussi grandes inspiratrices de ballet. Le nom de la Symphonie n°6 est un véritable augure de ce qui se trame sur scène : à chaque instant, l'on est pris de pitié pour le malheureux personnage, ce fiévreux joueur Hermann, qui est emblématique d'un certain « caractère russe », enflammé et incontrôlable. Celui-ci est magistralement interprété par : le doute s'empare de son être quant à l'issue du combat entre lui et la Comtesse ; comment obtenir le secret des cartes sans le secours de celle qui lui résiste : c'est le pas de deux dans la chambre de la Comtesse qui est le moment de transition où se joue le choix de la Comtesse, et la conséquence qui en découle ; face à son obstination, que doit faire le danseur épuisé ? Comment pourra-t-il corrompre la vieille femme qui lui résiste ? Implacable, devient elle-aussi folle par la désorganisation de ses mouvements, peut être le frisson de la compromission (va-t-elle faire de Hermann son amant ?), mais sûrement celui de l'ange de mort qui passe quand les cartes se dévoilent. De l'impassible contrôle de soi-même, la danseuse, vieillie de plusieurs dizaines d'années dans le personnage tragique qu'elle sublime, passe à l'irrationnel en fusion, libérant toutes les conventions sociales et laisse apparaître son angoisse, celle de la vieillesse, celle de la mort. Avec une énergie inépuisable, va au bout de ses forces dans un ballet qui le surmène, physiquement (la chorégraphie riche en sauts et en pirouettes), et psychiquement, après un affrontement à l'issue fatale pour la vieille aristocrate. Mais celle-ci se venge en trompant Hermann sur les cartes à jouer, et tel le monde se refermant sur lui, Hermann choît pour ne plus se relever. Simplement impressionnants, le charisme et l'aura des protagonistes confirment leur stature internationale.

On retrouve (Lisa dans le premier ballet, mais rôle somme toute mineur) dans la Passacaille de Webern. On apprécie son agilité, et la belle maîtrise de sa technique, ainsi que le professionnalisme de Ian Godovsky. Cependant, venant après une œuvre narrative aussi forte que celle de la Dame de Pique, nous sommes un peu déroutés par un ballet abstrait qui aurait plutôt du se retrouver en première partie de soirée. Le ballet est dans l'ensemble austère, basé sur l'épure, la beauté de certains gestes, à l'écriture plus « classique ». Complément agréable, mais un peu incongru de ce DVD.

En bonus, plus de quarante minutes de répétitions, d'interviews avec le chorégraphe, les danseurs. Ce documentaire est un appoint de l'élaboration du ballet, et non un ersatz de faire-valoir pour justifier l'inanité des propos que l'on peut retrouver sur d'autres DVD. Même si l'artiste ne doit pas justifier ses prises de position, car l'art lui offre cette liberté, entendre parler ce même artiste de son art avec la dévotion qu'on lui impute est toujours le bienvenu.

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