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Roger Muraro, c’est le temps de l’oiseau

Le nom de est désormais associé à la musique de Messiaen qu'il étudia dès son plus jeune âge avec la spécialiste en titre et épouse du compositeur, Yvonne Loriot. Son intégrale lumineuse des Vingt Regards sur l'Enfant Jésus et du Catalogue d'oiseaux qu'il n'hésite pas à donner en public lors de concerts-marathon inoubliables lui vaudront l'admiration sans borne du vieux maître louant « sa technique éblouissante, ses qualités sonores, son émotion… sa Foi » : est cet athlète du piano – stature et mains impressionnantes – qui s'offre le luxe de jouer Oiseaux exotiques par cœur avec l'élégance et le raffinement d'un jeu qui tient presque de la chorégraphie. Dans cette partition d'une haute complexité où Messiaen met en polyphonie les chants d'oiseaux de l'Inde, de la Chine, de la Malaisie et des deux Amériques, le piano se voit confier de longues cadences réservées à ces « artistes » dont Messiaen nous fait « voir » le plumage et parfois même la courbe de leur vol. Avec l'agilité du volatile, recherche la gestion idéale de la résonance pour projeter les figures sonores dans l'espace et donner vie à ces créatures ailées. L'équilibre au sein du groupe instrumental – une quinzaine de solistes – est certes moins accompli. La direction un peu sèche et autoritaire de mène tout ce monde « à la baguette » dans un espace sonore trop confiné pour qu'on y sente circuler « toutes les couleurs de l'arc-en-ciel » prévues par Messiaen.

Roger Muraro revenait en soliste pour interpréter la deuxième œuvre de ce programme, le Concerto pour la main gauche commandé à Ravel par le pianiste autrichien Paul Wittgenstein – amputé du bras droit lors de la Première Guerre Mondiale – qui le créa à Vienne en 1931 : une œuvre redoutable pour les pianistes à la recherche d'un nouvel équilibre pour donner le poids nécessaire à la main gauche et assumer une virtuosité à haut risque. Cette contrainte n'est d'ailleurs pas étrangère au climat de tension éminemment dramatique qui nous empoigne dès le début. Saluons la performance des contrebasson, basson et cor anglais de l' mis en vedette par Ravel tout au long du concerto. Avec beaucoup d'intensité et de profondeur et une maîtrise étonnante du clavier, Roger Muraro nous entraîne dans cette vision cauchemardesque puisant une énergie souterraine pour faire éclater des fanfares héroïques. On peut, ici encore, regretter que la gestique hypernerveuse de Rophé ne laisse guère de place au « mystère de l'instant » et, par souci de précision peut-être, banalise certains passages de pure émotion.

Il n'est pas si fréquent d'entendre au concert les trois Images pour orchestre de qui sollicita son collègue et ami André Caplet pour achever en 1912 l'orchestration de Gigues disposant d'un ensemble instrumental important dont un hautbois d'amour destiné à rappeler la sonorité du bag-pipe écossais. Il faudra sept ans à Debussy pour achever cette fresque orchestrale conçue de main de maître. Les trois Images étaient interprétées ce soir dans l'ordre préconisé par Boulez remaniant celui de l'édition courante – suggéré sans doute par Debussy – selon lequel les deux mouvements courts – Gigues et Rondes de printemps – encadrent le triptyque d'Ibéria ; « cette symétrie de principe, précise Pierre Boulez, va à l'encontre de l'achèvement musical constitué par la péroraison de Ibéria ». en donne une lecture très analytique, trop peut-être lorsqu'il s'agit de pénétrer les mystères de la nuit chargée de parfums et d'odeurs ; il est certes difficile, avec l'acoustique si peu flatteuse de Mogador, de parvenir à cette alchimie sonore – entre précision de la ligne et fugacité du mouvement – si bien résumée par Debussy en ces termes : « ça n'a pas l'air d'être écrit… ».

Crédit photographique : © Acanthes

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