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Flor Nouvele « Douces Dames jolies… »

Si l'image du troubadour (homme) allant de cour en cour pour y chanter des poèmes en langue vernaculaire, si cette image-là nous est assez familière, bien plus confidentielle est l'idée que des femmes aient pu jouer un rôle non négligeable dans ce genre littéraire. Or, aux côtés de quelque 450 troubadours recensés, émergent de l'Histoire médiévale, et dans ce domaine précis, une trentaine de Trobayritz (ou trobairitz), femmes-troubadours, dont une vingtaine au nom connu, le reste demeurant anonyme. Et parmi les plus célèbres, la Comtesse Béatrice (ou Beatritz) de Die, Azalaïs de Porcairagues, Clara d'Anduza ou encore Na Castelhoza. C'est à ces trobayritz et plus généralement à la femme de cette époque (XIIe et XIIIe siècles) que Flor Nouvele se propose de rendre hommage.

Plusieurs facteurs ont pu contribuer à l'épanouissement de cette poésie féminine occitane, parmi lesquels un statut social plus favorable, plus souple que dans la société du nord, et qui leur garantit une relative indépendance. La domna, mariée ou non, compagne, amante, inspiratrice a fini par acquérir une place privilégiée dans la société occitane, aussi bien par la pratique de la poésie courtoise que dans la politique ou la religion. Mais la poésie des trobayritz a son originalité propre. Elle ne cherche pas à imiter celle des troubadours. La mythologie de la dame hautaine et inaccessible, largement répandue par ces derniers, s'efface derrière une image de la femme infiniment plus…femme, justement : amante, aimante, qui souffre (de l'absence, de langueur, de la perte d'un être cher…) ou se pose des questions. Les présentes évocations adoptent des formes diverses : le canso (chant d'amour, qui suggère aussi l'ennui de l'existence dans l'enceinte du château féodal), le tenso (échange dialogué entre deux femmes ; ainsi : vaut-il mieux accepter le mariage – et donc avoir des enfants – ou… rester vierge ?), l'alba (chant de l'aube, ou aubade, qui est destiné à réveiller les amants), les reverdies, qui chantent le renouveau de la nature, ou encore le planh (issu du planctus funèbre, complainte désolée et inspirée par la perte de l'aimé). L'expression fin'amor s'oppose à fals'amor : opposition du pur à l'impur, de ce qui est distingué et raffiné à ce qui est commun et vulgaire.

Les musiques de ces pièces ne nous étant pas parvenues, c'est par contrafacta (réemploi de mélodies de l'époque) qu'est traité ce répertoire.

Passé la plage 1, où allégresse et « fine joie » se trouvant quelque peu altérées par les méchants, les médisants et les jaloux, la voix de Domitille Vigneron pâtit d'une certaine aigreur (qu'on peut trouver désagréable), nos deux trobayritz, qui n'en sont pas à leur coup d'essai (elles servent la musique médiévale, de longue date, avec talent et passion) composent un duo des plus plaisants.

Signalons, parmi les plus beaux moments de ce disque, l'admirable fusion des voix dans ce cantiga de Amigo » Hautes vagues qui venez sur la mer », d'agréable polyphonie enrichie d'un contraste de timbres instrumentaux du plus bel effet, de même que l'alba « En un vergier » (Dans un verger, sous un feuillage d'aubépine) avec son original effet d'écho des deux voix et un superbe accompagnement de harpe, renforcé par instant d'une flûte charmeuse ; ou encore la bouleversante complainte Avec le cœur triste et tourmenté, ponctuée d'un glas funèbre matérialisé par le gong.

A côté de ces qualités fort appréciables, on regrette cependant une notice bien « mince » et des textes, certes reproduits et traduits, mais d'une éprouvante difficulté de lecture (taille des caractères ! Et des écrits trop souvent « fondus » dans l'image).

Cela dit, dans le même temps que paraît, sur ce thème de la femme (mais avec des moyens, surtout financiers, autrement supérieurs) ce Lux Feminae de , le présent enregistrement, modeste mais très « propre » et attachant, mérite attention et force la sympathie.

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