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Joseph-Guy Ropartz, paysagiste de l’âme

Une fois de plus, Timpani nous propose trois œuvres de Guy Ropartz qui sont autant d'inédits en disque.

Ainsi, après les Symphonies n°1 et n°4 du compositeur breton, voici réunies avec bonheur deux suites d'orchestre extraites des musiques de scène de Pêcheur d'Islande (1891) et d'Œdipe à Colone (1914), encadrant la Rhapsodie pour violoncelle et orchestre plus tardive (1928). Les lecteurs intéressés pourront consulter un bref aperçu de l'évolution de la discographie de Ropartz au début de la chronique relative à la dernière parution en CD de ses Symphonies. Guy Ropartz, qui publia avec Louis Tiercelin en 1889 Le Parnasse breton contemporain en hommage à des poètes bretons, possédait une vaste culture littéraire et humaniste qui donna naissance, entre autre, à l'étude symphonique La Chasse du Prince Arthur (1912) d'après Brizeux ; il était donc tout naturel qu'il fut tenté par l'illustration musicale de textes poétiques.

Si l'art de Ropartz s'attache à sonder les profondeurs de l'âme humaine, l'impressionnisme de son écriture dans Pêcheur d'Islande fait correspondre sa propre mélancolie au pessimisme de Pierre Loti, en des images fortes dont l'océan est le principal acteur vis-à-vis des êtres qui lui sont finalement subordonnés. L'œuvre n'est évidemment pas destinée au roman de Loti, mais bien à son adaptation théâtrale réalisée par Tiercelin, et on pourrait croire que cette musique de scène, qui fait partie de la « première manière » de Ropartz, soit influencée par César Franck ; or il n'en est rien : la suite symphonique en trois parties qui nous en est proposée ici relève d'un impressionnisme qui ne doit rien à Franck, mais un impressionnisme plus de sentiment que de description. À La Mer d'Islande, souvent menaçante et inspirant la mélancolie, succède la Scène d'amour, toute de pudeur et de douceur tendre, inspirant le sentiment serein de symbiose totale entre les âmes et le paysage. Les Danses ne pouvaient qu'être associées aux noces, et la musique de Ropartz s'y révèle pleine d'entrain, avec toutes les caractéristiques savoureuses de rythme inégal propre au folklore breton. Un curieux demandant à la fin d'un concert : « À quoi bon cette extraordinaire mesure à cinq temps ? Quatre ne vous auraient donc pas suffi ? – Voyez-vous, Monsieur, répondit Ropartz, pour une noce, quatre temps, c'est bien maigre. »

Le retour à l'Antiquité au tournant du XIXe-XXe siècle n'a pas manqué de toucher l'art de Guy Ropartz, témoin cette autre musique de scène pour une adaptation de l'Œdipe à Colone de Sophocle, dont il tira une suite d'orchestre en cinq parties composée d'un Prélude pour chacun des trois premiers actes, encadrant une solennelle Entrée de Thésée et un Lamento dépouillé associé au défunt père d'Antigone et d'Ismène. La modalité qui est une des caractéristiques de l'écriture de Ropartz trouve ici son plein épanouissement (notamment le mode lydien souvent présent dans la musique populaire bretonne) en un langage ne reniant aucunement celui du Fauré dernière manière.

C'est également le mode lydien qui donne le départ à la splendide Rhapsodie pour violoncelle et orchestre, œuvre typique du raffinement épuré du Ropartz dernière manière, débutant lento pour aboutir à une danse éblouissante en 3/8. L'œuvre fut dédiée à et créée par Maurice Maréchal aux Concerts Lamoureux.

Si ce n'est pas Maréchal que nous entendons ici, nous ne pensons pas perdre au change avec qui fait preuve d'une superbe finesse et d'une grande intériorité de jeu. Cet admirable musicien a de qui tenir évidemment, puisqu'il fut l'élève brillant de Maurice Gendron, Pierre Fournier, Paul Tortelier et János Starker, et que son intelligence et sa culture musicale le conduisent à la révélation de partitions rares. Il était également tout naturel de confier cette musique passionnante à l'Orchestre de Bretagne qui prouve, par sa ferveur et ses convictions à défendre la musique d'un enfant du pays, que bien des formations dites « de province » sont à l'égal des illustres phalanges parisiennes. Et il convient de préciser que la présence au pupitre de direction du jeune Ukrainien n'est certainement pas étrangère à cette totale réussite.

L'excellente prise de son, toutefois relativement proche, analytique et un peu sèche, permet de ne perdre aucun détail des partitions, même si elle n'a pas l'ampleur et l'aura sonore qui caractérisaient celle, exceptionnelle, accomplie en la Salle Poirel à Nancy pour les Symphonies n°1 et n°4.

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